Il y avait déjà eu cinq autogoals depuis le début de l'Euro, quand on a envoyé un SMS aux anciens défenseurs Stéphane Grichting (45 ans) et Daniel Puce (54 ans), pour leur demander de nous raconter ce que l'on ressent quand on marque contre sa propre équipe. Quelques minutes après notre message, l'Italien Riccardo Calafiori devenait le sixième joueur du tournoi à inscrire un «csc» (but «contre son camp»), lors de la défaite 1-0 des Transalpins face à l'Espagne.
On n'avait pas choisi Grichting (ex-international suisse) et Puce (ancien joueur du LS et de Sion notamment) au hasard. Tout deux ont déjà marqué au moins une fois dans leurs propres filets et ne l'ont jamais oublié. Ils nous ont rappelé le lendemain.
Combien d'autogoals avez-vous inscrit durant votre carrière pro?
Stéphane Grichting: Aucun! (il rit) Non, plus sérieusement, il y en a au moins trois ou quatre qui sont assez douloureux. Ce n'est pas quelque chose qu'on aime vivre.
Daniel Puce: Hum, bonne question. Deux ou trois. Ce qui est sûr, c'est qu'il y en a un dont je me souviendrai toute ma vie.
Justement, quel «csc» vous a marqué durablement?
Daniel: C'était avec Lausanne en 2000, lors du 3e tour aller de la Coupe UEFA à Nantes. Sur un long dégagement adverse, j'ai fait une tête pour remettre le ballon à mon gardien derrière moi, je n'avais pas vu qu'il était sorti et ça l'a lobé. Si je me souviens autant de ce but, c'est parce qu'il a eu un impact sur le résultat final. A ce moment-là, on menait 3-2 à Nantes. On a fini par perdre le match 4-3 (réd: le LS sera aussi battu 3-1 au retour).
Grichting: Je me souviens d'une frappe contrée en finale de Coupe 2013 avec GC contre Bâle, d'un lob malchanceux contre Thoune, toujours avec GC. Mais l'autogoal le plus douloureux reste celui contre Lille avec Auxerre. En taclant à l'arrache, j'ai complètement dévié la trajectoire du ballon, qui a fini dans mon propre but. Je disputais ce soir-là mon 100e match en Ligue 1, donc ça m'a marqué.
Comment se sent-on quand on trompe son propre gardien?
Daniel: (rire nerveux) On se sent seul au monde. On a l'impression que tout le monde vous montre du doigt, on culpabilise, on se sent triste et fâché en même temps, on se pose 40 000 questions en se disant qu'on aurait dû faire ceci plutôt que cela.
Stéphane: En fait, ça dépend de l'action. Si on fait un geste de dernier recours pour essayer de sauver un but, marquer contre son camp n'est finalement pas trop grave, on aura juste essayé d'intervenir pour empêcher le ballon de rentrer. Mais quand c'est de la maladresse, ou un geste technique non maîtrisé, on a juste envie de se faire tout petit sur le terrain.
Vos coéquipiers ou votre coach vous en ont-ils déjà voulu?
Stéphane: Jamais, car ça a toujours été la conséquence d'un engagement total de ma part.
Daniel: Non, personne ne m'a fait le moindre reproche. On sait que le foot est un sport d'équipe et que l'on fait tous des erreurs un jour ou l'autre. Sans erreur, les matchs finiraient toujours à 0-0.
Mettre un autogoal est-il de nature à déstabiliser un défenseur pour la suite du match, à le faire sortir de la partie?
Daniel: C'est une question de caractère. Si tu es faible mentalement, tu sors carrément de ton match. Mais si tu es fort dans la tête, tu seras aussi bon voire meilleur, parce que tu auras la rage, l'envie de te rattraper. Moi, j'étais plutôt du genre revanchard.
Stéphane: Il y a en effet deux types de joueurs. Certains gambergent quand d'autres veulent au contraire se racheter.
Est-ce que c'est une «tache» sur un CV? On connaît l'importance des stats dans le football, un autogoal peut-il dévaluer un joueur?
Stéphane: Non, absolument pas. On ne peut pas en vouloir à un joueur de manquer de lucidité sur un geste, ou d'être au mauvais endroit, au mauvais moment, si le ballon lui rebondit dessus avant de rentrer.
Daniel: Non (catégorique). Prenez le but italien de jeudi: Calafiori est en mouvement, il ne peut pas s'arrêter, il ne peut rien faire du tout pour éviter de marquer. Celui qui juge un joueur sur un «csc» doit tout de suite arrêter d'être recruteur.
Peut-on trouver un autogoal beau?
Daniel: Ah oui, bien sûr! Certains finissent dans la lucarne. C'est dommage pour celui à qui ça arrive, mais c'est magnifique quand même!
Stéphane: Oui, j'ai déjà vu un joueur marquer du milieu de terrain dans son propre but et sans le faire exprès!
En 1994, Andres Escobar a été assassiné pour avoir inscrit un but contre son camp qui a éliminé la Colombie au Mondial américain. Avez-vous déjà eu peur que vos supporters s'en prennent physiquement à vous après un autogoal?
Stéphane: Non, jamais. En Suisse, on a déjà de la peine à te reconnaître quand tu gagnes une coupe ou que tu es champion, on ne va pas venir t'embêter pour une action! C'est la nonchalance, le fait de ne pas mouiller le maillot qui t'expose auprès des fans, mais ça n'a jamais été mon cas, car j'ai toujours donné le maximum.
Daniel: J'ai joué en Suisse, mais aussi à l'étranger, en Chine et en Allemagne, et je n'ai jamais imaginé qu'un autogoal puisse m'être reproché par mes supporters. Mais je sais que cela peut se produire dans certains pays fanatiques de football. L'attaquant espagnol Alvaro Morata a quand même reçu des menaces de mort pour des occasions loupées.