Assis sur un fauteuil face à nous, et alors que nous allions lui poser la première question, Christophe Cerf prévient:
La vie du Jurassien de 50 ans a basculé en juillet 2022. Il revenait de l'Euro féminin de football, disputé en Angleterre, lorsqu'un évènement a tout changé.
Le rendez-vous a confirmé ses craintes.
Le journaliste explique que des dégâts peuvent survenir à partir de 80 décibels et qu'il portait le volume à des mesures souvent supérieures. «J'étais à 90, parfois 100.» Il faut imaginer le reporter dans une patinoire ou un stade de football avec plusieurs milliers de supporters qui hurlent autour de lui.
La perte totale de l'ouïe à droite (son oreille gauche entend parfaitement) a été un choc pour Christophe Cerf, car elle le prive de ce qui est pour lui, et depuis toujours, le plus beau métier du monde.
Quand le médecin lui a appris ce dont il souffrait, le journaliste, qui est né et a grandi dans le petit village de Châtillon (JU), a décidé de se battre pour récupérer l'ouïe et revenir à l'antenne. Il a enchaîné les traitements, jusqu'à se faire percer le tympan afin de se faire injecter de la cortisone directement dans l'oreille interne. Il a récupéré une grande partie de son ouïe et en septembre 2022, il a pu se déplacer avec la RTS en Espagne pour le match de football contre la Suisse. «Mais je me suis rendu compte que même avec 80% d'audition à droite, c'était compliqué. Breel Embolo est arrivé vers moi et m'a dit un truc en rigolant, mais je n'avais rien saisi. En fait, j'entendais plutôt bien, mais je comprenais toujours mal.»
Le Jurassien a dû renoncer à la Coupe du monde au Qatar, qui devait être son «rêve d'enfant» car pour la première fois de sa carrière, il était accrédité pour toute la durée du tournoi. Les matchs, il les a regardés depuis chez lui, dans la maison qu'il a rénovée dans les Franches-Montagnes. «Ce n'était pas facile. J'ai quand même suivi le Mondial, mais j'étais content qu'il se termine, parce que ça me faisait mal de ne pas y être. Je trouvais cela injuste.»
Le tournoi s'est achevé avec le sacre de l'Argentine, l'hiver est passé, mais pour le journaliste rien n'a changé: la maladie était toujours aussi imprévisible. Parfois, il entendait un peu mieux, d'autres jours c'était moins bien. C'est ce changement d'état incessant qui l'empêchait de porter un appareil pour mieux entendre, celui-ci devant être réglé en fonction d'une perte d'audition définie, donc stable. En mars 2023, une reprise du travail a toutefois été envisagée, mais rien n'allait se passer comme espéré. Il a d'abord appris qu'il ne commenterait pas la Coupe du monde féminine en Nouvelle-Zélande et en Australie, une décision qu'il a acceptée, compte tenu des incertitudes liées à son état de santé.
Puis en juillet 2023, une année après le vol Manchester-Genève, la rechute: il a une nouvelle fois perdu totalement l'ouïe à droite.
Cette rechute a été un coup porté au moral. «Ce qui a été dur, c'est de me dire que j'allais devoir revivre tout ce que j'avais connu un an plus tôt: les médicaments, les nuits blanches, les séances d'acupuncture, etc.» Les piqûres à travers le tympan sont cette fois restées sans effets.
Nous sommes aujourd'hui en septembre et Christophe Cerf est toujours privé de son à l'oreille droite. Il n'a plus travaillé depuis un an et le match Espagne-Suisse. Son traitement actuel s'étend jusqu'à Noël, mais ce n'est pas dit qu'il lui permette d'aller mieux.
«Si ça ne s'améliore pas d'ici là, j'essaierai de retravailler avec une seule oreille, se projette-t-il. Je privilégierai le reportage et le commentaire. Mais c'est sans certitudes, car beaucoup de choses dont je ne suis pas maître entrent en ligne de compte: les souhaits de mon employeur, les conditions de l'assurance, et.. Comme les causes de ma surdité subite ne sont pas définies, chacun essaie de préserver ses intérêts, ce qui est logique.»
Que fait-il aujourd'hui de ses journées? «Elles ne sont pas très intéressantes», dit-il, peiné. Il se repose (une obligation pour espérer aller mieux), lit la presse, reçoit des amis et marche beaucoup. Il avait l'habitude d'écouter de la musique, du classique surtout, mais il a coupé la sono. «J'adore le Confutatis de Mozart, mais je le trouve moche depuis que je ne peux pas l'écouter correctement.»
L'autre jour, il est allé voir l'équipe de Suisse en Valais.
Il n'est pas rare, lorsqu'il sort de chez lui, que le journaliste entré à la RTS en 2001 soit abordé par des gens venant s'enquérir de sa situation. «Dans le train, dans la rue ou au stade, on me demande parfois ce que je deviens, et pourquoi on ne me voit plus à l'antenne. Je dis simplement que j'ai quelques soucis de santé.» Christophe Cerf est ému. Il aime les gens et c'est très souvent réciproque.
Quand on lui demande quel évènement il souhaiterait revivre s'il pouvait remonter le temps, il répond aussitôt: «La victoire fantastique du Celtic contre le Barça en Ligue des champions. C'était en 2012 et le stade tremblait.»
«C'était phénoménal. J'étais aux commentaires ce soir-là et je me demandais sérieusement si j'allais réussir à dire «bonsoir» aux téléspectateurs quand on allait me donner la parole. J'avais les larmes aux yeux et la gorge serrée à cause de l'ambiance.»
C'est le genre de moments qui lui manquent beaucoup et qu'il imagine volontiers revivre, certes avec un peu moins d'intensité, l'été prochain en Allemagne lors de l'Euro 2024, son prochain objectif professionnel. «Mais les incertitudes sont encore grandes, rappelle-t-il. Personne ne sait comment ma situation va évoluer. Il se peut aussi que je devienne totalement sourd, mais je préfère ne pas y penser.»
Christophe Cerf a déjà pensé à ce qu'il pourrait faire si son métier de journaliste n'était plus possible, des alternatives en quelque sorte. «Ce pourrait être de l'accompagnement en montagne, peut-être de l'enseignement», liste-t-il, sans trop de conviction. Car le moteur de son existence, c'est de voyager à travers le monde pour écouter, voir, sentir, ressentir et raconter le sport et ceux qui le font vivre. Il y a encore de la place pour pas mal d'émotions dans son coeur, même si son neveu, qui est devenu son plus grand ami et son meilleur remède, en occupe désormais une très grande.