Il était attendu sur les pentes du Géant de Provence. Beaucoup le désignaient même comme le grandissime favori de cette 16e étape du Tour, entre Montpellier et le Ventoux. Il faut dire que Tadej Pogacar, en grande forme depuis le début de cette Grande Boucle, avait l'occasion de prendre sa revanche, comme il aime tant le faire, sur un terrain où son rival Jonas Vingegaard l’avait distancé en 2021.
Finalement, alors que la victoire était à portée de fusil, Pogacar n’a pas pleinement exprimé son talent. Le maillot jaune du Tour de France s’est contenté de suivre le rythme de la Visma-Lease a Bike et les attaques successives de Vingegaard. Il s’est limité à un contre et à un sprint à l'arrivée, au point que certains suiveurs ont douté de sa forme du jour.
La réalité semble pourtant bien différente. Pogacar, qui a déclaré une fois la ligne franchie ne pas avoir voulu «trop en faire» ni se «faire mal aux jambes», a battu le record de l'ascension du Ventoux.
Le leader de l'équipe UAE Team Emirates est monté en 54 minutes et 41 secondes, soit deux secondes de mieux que le Danois à ses trousses. Il efface ainsi la marque d'Iban Mayo en 55 minutes et 51 secondes, sur le Critérium du Dauphiné 2004. Une performance d’autant plus impressionnante que le vent était défavorable sur la partie découverte du Mont Chauve, et que le temps du Basque avait été réalisé lors d’un contre-la-montre de 21 kilomètres, et non à l’issue d’une étape en comptant 170.
D'un autre côté, Tadej Pogacar n’a pas eu à assumer seul la montée: il a pu bénéficier du travail de l'équipe Visma-Lease a Bike tout au long de l'ascension. La formation néerlandaise a accéléré dès le pied du Ventoux, avant de s'appuyer sur ses hommes à l'avant, à savoir Tiesj Benoot et Victor Campenaerts. Ces deux-là ont emmené à un rythme effréné le duo Vingegaard-Pogacar.
Mais plus encore que ce record battu, c’est l’écart creusé avec les meilleurs temps d’ascension, lors des derniers passages du Tour de France, qui retient l'attention. La progression se mesure en minutes.
Il y a quatre ans, Jonas Vingegaard avait grimpé en 59 minutes et 15 secondes, soit plus de quatre minutes plus lentement. A l'époque, le Danois se trouvait seulement à 28 secondes du temps magistral de Chris Froome, réalisé en 2013. Andy Schleck (58 minutes et 45 secondes en 2009), Lance Armstrong (59 minutes en 2002) et Marco Pantani (59 minutes et 5 secondes en 2000) évoluaient également dans des sphères similaires.
Une telle ascension, signée par les deux extraterrestres du peloton, peut donc susciter des interrogations, d'autant que plusieurs des noms cités plus haut, Lance Armstrong, Marco Pantani et Iban Mayo, ont été rattrapés par des affaires de dopage. Ces derniers jours, des révélations concernant Chris Froome sont venues ternir à leur tour l’image du Britannique.
Cependant, la comparaison des temps doit être abordée avec une grande prudence. Le matériel, l’alimentation et la préparation des coureurs ne cessent de s’améliorer à chaque édition. A cela s’ajoutent des conditions de course toujours variables. Le jour de la victoire de Pantani en 2000, par exemple, un vent presque glacial soufflait beaucoup plus violemment sur les pentes du Ventoux. Et il y a quatre ans, où une double ascension était au programme, la première avait été largement escamotée. Elle avait toutefois entamé physiquement le peloton en vue de la seconde. Rien à voir donc avec ce mardi, où la Visma-Lease a Bike a allumé la mèche dès le pied du Géant de Provence.
(roc)