Chips Zweifel, Ovomaltine, Kägifret, chocolat Giandor, jeu Brändi Dog et carte postale manuscrite: voici les cadeaux typiquement suisses que Lia Wälti et ses coéquipières ont offert aux sélections nationales de l’Euro 2025.
Les réactions, parfois enthousiastes, se sont affichées sur Instagram, où la story de la capitaine helvétique a fait le tour du monde. Les Italiennes, elles, ont répondu avec une ola.
A Bâle, des feux tricolores à l’effigie de footballeuses ont capté l’attention: au vert, une silhouette féminine dribble en pleine course. L’adaptation a été d’une simplicité déconcertante – il a suffi au canton de remplacer le film noir représentant le motif. Résultat: un effet bluffant. Surnommées les «joueuses des feux de signalisation» par la chaîne allemande Sportschau, elles ont fait le tour du monde. Des médias australiens, indiens, américains ou encore moyen-orientaux ont relayé l’initiative.
A Bâle, certains des traditionnels bonshommes verts des feux de signalisation ont été remplacés par des footballeuses. pic.twitter.com/0xcPHjC2e8
— Lionel Pittet (@lionel_pittet) July 2, 2025
Mais l’image la plus marquante de cet Euro féminin reste sans doute celle-ci: 25 000 fans suisses marchant depuis la place Fédérale jusqu’au stade du Wankdorf de Berne, avant le quart de finale face à l’Espagne. Du jamais-vu dans un Euro féminin.
C’est cette combinaison de passion, de créativité et de ferveur populaire qui a fait de cette édition suisse un immense succès.
Sur 31 rencontres, 29 se sont jouées à guichets fermés – y compris la finale de dimanche. C'est historique. Seules les deux premiers matchs disputées à Genève n’ont pas fait le plein, selon l’UEFA, qui évoque 13 054 billets invendus. En tout, 656 000 des 670 000 tickets disponibles ont trouvé preneur. Soit 81 000 de plus qu’en 2022, lors de l’Euro en Angleterre, où 574 875 places avaient été écoulées, y compris la finale record de Wembley (87 192 spectateurs).
Longtemps moquée pour son ambition d’un Euro 100% à guichets fermés, la directrice du tournoi Doris Keller a presque eu gain de cause. Il faut dire que les tarifs abordables ont largement contribué au succès populaire: les places les moins chères étaient proposées à 25 francs suisses, transport compris.
Autre facteur déterminant: l’afflux de supporters venus de l’étranger, qui représentaient 35% du public – soit presque le double qu’en Angleterre lors de l’édition précédente. L’Allemagne et l’Angleterre ont fourni les plus gros contingents.
Ce succès tient aussi à une campagne bien orchestrée de Suisse Tourisme. A Berlin, l’ambassade de Suisse s’est transformée en support d’une installation vidéo monumentale mettant en scène huit joueuses de la Nati, chacune associée à une ville hôte. A Londres, le slogan «I need extra time, I need Switzerland» s’est affiché tout au long du mois de juillet sur 230 taxis noirs, des bus et des panneaux numériques. Figure de proue de la campagne: Alayah Pilgrim, 22 ans, internationale suisse d’origine marocaine, dont le visage jeune et métissé incarne une Suisse moderne et ouverte sur le monde.
Avant même le coup d’envoi de l’Euro, Suisse Tourisme avait frappé fort sur YouTube avec la vidéo «Waiting for the game», visionnée à ce jour plus de 17 millions de fois. On y suit une bande de supporters néerlandais sillonnant la Suisse, émerveillés par la nature au point d’en oublier la raison de leur venue: le football.
Selon «Présence Suisse», l’organisation chargée par le Conseil fédéral de promouvoir l’image du pays à l’étranger, l’Euro féminin a offert à la Suisse une «visibilité internationale remarquable» et suscite à l’étranger une perception «quasi unanimement positive».
Même le New York Times s’est emparé du sujet, s’interrogeant sur «la manière dont la petite Suisse en est venue à organiser un tournoi susceptible de provoquer un changement culturel» – l’Euro étant présenté comme un possible catalyseur de transformation sociale.
Les critiques dans la presse internationale ont été rares. Deux seulement émergent: le manque de toilettes pour femmes dans les stades et le coût élevé de la vie en Suisse. Lors du match d’ouverture à Bâle, la saturation des sanitaires féminins a poussé la directrice du tournoi, Doris Keller, à réagir en réaffectant une partie des toilettes pour hommes aux spectatrices. a Genève, toutefois, le problème n’a pas été résolu.
Mais les femmes ne se sont pas contentées de briller sur la pelouse: elles ont aussi occupé les postes clés de l’organisation. Aux côtés de Doris Keller, on trouvait Marion Daube, responsable du football féminin à l’Association suisse de football, ainsi que huit femmes à la tête des comités d’organisation des huit villes hôtes. Seule Berne déroge à la règle, avec une co-direction homme-femme.
A rebours des codes des tournois masculins – bière, bretzel et saucisse –, l’Euro féminin proposait des repas végétariens (en portions enfants), des toboggans et de mini-terrains de foot pour les plus jeunes. Bâle et Berne ont misé sur l’art et la culture pour se démarquer. Selon Sabine Horvath, cheffe de projet à Bâle, les femmes partageaient une vision commune de la charte de durabilité et menaient d’une seule voix les négociations avec l’UEFA.
Elle salue également une «excellente» coopération entre les villes hôtes. Un constat que confirment plusieurs observateurs familiers de ce type d’événement: là où les hommes se livrent souvent à une «lutte d’egos permanente», les femmes ont mis en avant l’esprit d’équipe et le sens de l’intérêt général.
Adolf Ogi, ancien président de la Confédération (2000) et ex-ministre des Sports, ne tarit pas d’éloges sur l’Euro féminin:
Pour lui, ce succès illustre la capacité du pays à briller dans l’organisation de grands événements.
Adolf Ogi tempère toutefois l’enthousiasme par une mise en garde. «Je vois un réel danger, alerte-t-il. Nous avons déjà perdu Swissair et Credit Suisse ces vingt dernières années.» Et la Confédération, selon lui, n’est pas prête à relancer une exposition nationale. «Il faut veiller à ne pas perdre aussi la Croix-Rouge internationale, Genève comme centre mondial ou encore le Forum économique mondial.»
D’où, selon Ogi, l’importance pour la Suisse de viser un objectif à long terme: décrocher l’organisation des Jeux olympiques d’hiver 2038. «Nous pourrions les accueillir dès demain», affirme-t-il. Mais avant cela, deux grands rendez-vous attendent le pays: les championnats du monde de hockey sur glace en 2026 et ceux de ski alpin en 2027.
Bâle, en revanche, reste profondément touchée par le football féminin et espère désormais accueillir la finale de la Ligue des champions 2027.