Le serveur du café de Morges dans lequel on s'est donné rendez-vous connaissait sans doute déjà la réponse, mais il lui a quand même demandé si, avec son café, Emilie ne prendrait pas une boule de glace macadamia. «Non merci, c'est gentil», a poliment écarté la sportive de 28 ans, qui veille à son rapport poids/puissance comme Chris Froome à son capteur.
La première chose qui frappe quand nous la rencontrons, c'est qu'Emilie marche. Elle se déplace même d'un pas alerte. Deux jours plus tôt pourtant, c'était mi-juillet, elle a avalé 135,5 km et 4429m de dénivelé positif dans un défi un peu dingue qu'elle s'est lancée avec deux copains: gravir le Ventoux par ses trois faces en une seule journée. Un petit exploit qui donne à ceux qui le réussissent le surnom de cinglé/e du Ventoux. C'est donc ce qu'Emilie est devenue. «C'est sympa», glisse-t-elle, bien plus ravie qu'elle ne le laisse paraître.
Cette montagne est un monument du cyclisme. Surnommée «le Géant de Provence» en raison de sa position dominante dans le paysage, et du respect qu'elle impose à ceux qui osent y poser leurs roues, elle a été le théâtre de scènes à la fois tragiques (la mort de Tom Simpson en 1967) et mythiques (la course à pied de Chris Froome en 2016) du Tour de France.
Avec le temps, et les légendes qui s'y sont écrites, le Mont Ventoux (1909m) est devenu un point de passage obligé des amateurs. On ne devient un vrai cycliste qu'après avoir atteint une fois son sommet (ou après s'être cassé la clavicule, ce qui n'est pas moins douloureux).
Même si elle préfère la course à pied, Emilie est une vraie cycliste depuis longtemps. Elle avait déjà escaladé plusieurs fois cette montagne avant cet été. «Je l'adore. Je la trouve magique», dit-elle dans une confidence qui fait ressurgir pas mal de souvenirs. «On a une maison de famille dans la région. J'ai appris à aimer cet endroit.»
La particularité du Ventoux, ce n'est pas seulement ses routes qui semblent interminables ou sa forêt plantée de cèdres, c'est aussi son paysage lunaire («on se croirait sur Mars») et ce chapeau blanc dont le géant de Provence se coiffe chaque hiver. «Avoir de la neige dans le sud de la France, c'est dingue», fait remarquer Emilie.
C'est par amour pour ce sommet, et aussi par défi personnel, que la résidente de Saint-Prex s'est lancée dans sa triple ascension avec ses amis Mahé et Etienne cet été. Une épopée cycliste bouclée en 7h41 sans compter les pauses (environ 9h avec).
Les trois compagnons ne sont partis de Bedoin, un petit village situé à la porte sud du géant, qu'après avoir pris les précautions d'usage. «On a consulté le bulletin météo (il faisait 20 degrés avec peu de vent) car les conditions peuvent être changeantes dans la région. On a aussi rempli nos gourdes et pris des gels et des barres pour s'alimenter», dresse Emilie, avant de détailler les trois ascensions:
La jeune femme et ses compagnons de galère sont partis à 8h, «mais le mieux est de s'élancer vers 6h, pour éviter la chaleur». Ils ont rempli leurs gourdes dans les fontaines et se sont arrêtés à Sault pour manger. Chaque membre du trio progressait à son rythme et le premier attendait les suivants après chaque ascension.
Emilie a terminé 2e de l'ascension depuis Malaucène et même 1re depuis Sault avec son vélo Ghost Nivolet. Des résultats brillants, surtout lorsque l'on sait qu'elle ne s'est pas entraînée spécifiquement pour ce triptyque et qu'elle a roulé au ressenti, sans capteur de puissance.
Le secret de sa réussite tient sans doute à sa passion pour le sport (course à pied, natation et vélo), à moins que ce ne soit à cette force mentale qui lui permet de snober une boule de glace macadamia en plein mois de juillet.