Peter Zeidler, vous avez été évincé de Bochum en octobre dernier. Combien de temps votre licenciement de Bundesliga vous a-t-il fait mal?
Il me fait encore mal aujourd’hui. J’ai eu la chance d’évoluer en Bundesliga, et après trois mois, c’était terminé. Cela reste dans mon CV, et dans mon coeur. Je vis de façon émotionnelle avec les clubs que j'entraîne, je m’identifie fortement à eux, donc je ne peux pas simplement passer à autre chose. Je ne veux pas, et ne peux pas, m’habituer aux licenciements.
Avec le temps, on ne finit pas par s’endurcir?
Non. J’ai toujours vécu chaque licenciement comme un échec personnel: à Aalen, Salzbourg, Hoffenheim. Un peu moins à Sion. Mais ces ruptures laissent des traces. On finit par se dire que c’est de sa faute, qu’on n’est pas assez bon. Même si, comme l’a dit Ilja Kaenzig, le directeur général de Bochum, dans une interview, on ne m’a pas donné les conditions nécessaires pour réussir. Mais aujourd’hui, ça ne change plus rien. Mon passage à Bochum a été difficile, tout comme les mois qui ont suivi.
Vous venez de prendre les rênes du Lausanne-Sport, ce qui signifie que vous n’avez finalement pas été sans poste très longtemps. Cette pause vous a-t-elle fait du bien malgré tout?
Oui, elle m’a permis de retrouver une certaine paix intérieure, de prendre du recul sur ma vie. J’ai repensé à beaucoup de choses. A mes parents disparus, à mes frères et sœurs, à ma famille, à nos filles. Dans ces moments-là, on réalise combien les liens avec les proches sont essentiels. J’ai aussi eu le temps de réfléchir à ce qui se passe dans le monde. Il y a tant de choses terribles: des guerres, des bouleversements majeurs...
A Saint-Gall, vous sembliez évoluer dans un monde relativement épargné.
C’est vrai. Et je pense que personne ne m’en tiendra rigueur – pas même à Lausanne – si je dis que Saint-Gall est devenu ma véritable maison. Je le ressens encore plus aujourd’hui. C’est pour cela que j’aimerais, une fois ma carrière d’entraîneur terminée, y retourner vivre avec ma femme.
Etes-vous retourné à Saint-Gall?
Oui, deux ou trois fois. Les gens me saluent chaleureusement et parlent de moi et de mon passage ici en termes très positifs. Certains estiment que j’ai besoin de cette forme de reconnaissance. Ce que je peux dire, c’est que cela me fait du bien. Je me sens Saint-Gallois. C’est un fait, inutile de le nier. Il existe un lien profond et réciproque entre cette ville et moi.
De quoi êtes-vous le plus fier avec le FC Saint-Gall?
De tout ce que nous avons accompli ensemble. Dans toute la Romandie, on parle du FC Saint-Gall en des termes très positifs. De notre style de jeu, des supporters, de l’ambiance. Et cela est souvent – y compris à l’étranger – attribué à l’entraîneur. Nous avons embarqué tout le monde avec nous. Nous avons fait progresser beaucoup de joueurs, y compris des jeunes de Suisse orientale. Au début, nous signions des autographes pendant une demi-heure. A la fin, cela durait deux heures et demie.
Vous êtes désormais chez les «bleu et blanc». Mais pas à GC.
J’ai effectivement parlé avec des responsables des Grasshoppers. C’était juste après mon passage à Bochum, en novembre. GC voulait m’engager à l’époque, mais pour moi, c’était trop tôt. Et puis, c'est le LS qui m'a contacté plus tard.
Et votre épouse, que pense-t-elle de cette nouvelle aventure à Lausanne?
Elle me suit. C’est une aventure pour nous deux. Mais, pour être honnête, elle aurait préféré rester à Saint-Gall.
Le fait d’être en milieu francophone doit désormais vous plaire, non?
C’est une ambiance très différente de celle que j’ai connue à Sion ou à Saint-Gall. Sion ressemble beaucoup plus à Saint-Gall: les gens y sont plus ouverts. A Sion, on est invité à deux apéros dès la première soirée. A Lausanne, les rapports sont plus distants. C’est une ville plus grande, plus internationale. Il y a beaucoup d’expatriés, de grandes entreprises et une forte population étudiante. J’ai été surpris par la taille de la ville. Bien sûr, nous sommes en Romandie: l’influence culturelle du français est très présente. Mais le plus important, c’est que j’ai été chaleureusement accueilli au club, et que la collaboration avec le staff et le directeur sportif Stéphane Henchoz se passe très bien.
Cela fait quoi de succéder à Ludovic Magnin?
Ici, tout le monde parle encore de «Ludo» – un vrai personnage. Il circule mille anecdotes à son sujet. Il était le patron incontesté: montée en Super League, maintien, qualification pour l’Europe… difficile de faire mieux. C’est son héritage. Aujourd’hui, il est à Bâle.
Quelle est votre mission à la tête du Lausanne-Sport?
Nous avons perdu nos trois meilleurs attaquants, et Alvyn Sanches sera encore absent quatre mois après sa rupture des ligaments croisés. Koba Koindredi, que nous avions un jour envisagé de recruter à Saint-Gall, a finalement signé à Bâle. L’objectif, c’est de durer en Coupe d’Europe. L’ambition est là, mais aucun objectif précis ne nous a été fixé officiellement.
L’un des objectifs est-il d’augmenter la fréquentation du stade?
Oui, c’est un souhait clairement exprimé par la direction. Il faudra avancer pas à pas, avec l’espoir, à long terme, de renforcer l’ancrage du football. Le nouveau stade est une réussite, même s’il présente un inconvénient: en hiver, il est particulièrement exposé aux courants d’air.
Vu de l’extérieur, on a l’impression que, grâce à Ineos, l’argent coule à flots.
Non, ici, les finances sont scrutées de très près. Bien sûr, Ineos injecte des millions. Mais depuis que le groupe s’est impliqué plus intensément à Manchester United, les dépenses sont encore plus contrôlées. Il y a une vraie volonté de renforcer les liens avec Manchester United, à l’image de ceux déjà établis avec Nice.
Devez-vous former des joueurs pour ces clubs?
Pas vraiment pour ces clubs de manière directe. L’idée, c’est surtout de faire progresser les joueurs et de pouvoir les vendre ensuite avec bénéfice.
Dans un modèle multi-clubs comme celui d’Ineos, les meilleurs éléments peuvent aussi partir très vite, non?
Oui, évidemment. Les passerelles vers Nice sont plus directes que vers n’importe quel autre club de première division. Mais à Saint-Gall aussi, les meilleurs ne restaient pas longtemps. Quand un joueur comme Miro Muheim devient trop bon, il s’en va. Je suis très fier de joueurs comme Silvan Hefti, Cédric Itten, Ermedin Demirovic, des garçons passés par Salzbourg, puis plus tard Isaac Schmidt ou encore Muheim. Beaucoup d’entre eux parlent encore aujourd’hui de «nous».
Vous nous disiez tout à l'heure: «A Lausanne, personne ne me connaît. Je suis un inconnu parmi d’autres.» Ce relatif anonymat vous dérange-t-il?
Non, mais ce que je souhaite, c’est qu’on construise quelque chose, ensemble. Qu’on voie naître à nouveau des figures avec lesquelles les gens peuvent s’identifier. Comme Sanches, avant sa blessure. Quand des enfants viennent au stade et trouvent un modèle, c’est magnifique.