Le site officiel ne manque pas de hardiesse: «Coupe Davis, la Coupe du monde du tennis», annonce-t-il fièrement. La réalité de ce week-end était un peu plus nuancées. Des bataillons de volontaires ont défendu l'honneur de leur «fédé» sur des terrains humides, devant des spectateurs refroidis et rares. Il était moins question du Mondial tant fantasmé que d'un cours de répét' entre sans-grades, collé-serré, dans les premiers frimas de septembre.
Comme d'autres joueurs, mais avec plus de franchise, le Français Nicolas Mahut a exprimé une certaine perplexité: «Ça n'attire personne. C'est un fiasco populaire. Il y a plein de choses à revoir, dont le prix des places. Autour de 80 euros, c'est beaucoup trop, je ne sais pas qui a pris cette décision. Et je ne comprends pas trop la candidature de Hambourg. C'est la seule compétition en indoor où tu regardes la météo avant d'aller jouer. S'il fait beau, il peut y avoir des traces d'ombre sur le court. S'il pleut beaucoup, tu n'entends plus la balle. Avec le vent, les conditions sont plus lourdes.»
En novembre prochain (22-27), une nation remportera bien le Saladier d’argent, l'une des plus vieilles pièces (1900) de l'argenterie sportive; mais personne ne semble considérer que ça en vaille la peine. Pas s'il faut aller jouer les troufions dans des arrière-courts de province (Glasgow, Bologne, Valence, Hambourg), devant trois fondus et deux gelés.
Ce Saladier n'aura pas moins coûté 3 millards de dollars à ses organisateurs, la somme estimée pour se donner des airs de fête, si possible de grands airs, pendant les 25 prochaines années. A l'origine de cette promesse, le footballeur Gérard Piqué et ses amis ne semblent déjà plus certains de la tenir.
«Ce n'est pas très sérieux, accuse Gilles Moretton, président de la Fédération française de tennis. Depuis trois ans, ils ont perdu beaucoup d'argent. Piqué se moque du tennis. Ce qu'il veut, c'est trouver un système pour que l'argent rentre. Au niveau des prize money pour les joueurs, on n'en est déjà plus aux montants annoncés au début. On se cherche. Et je trouve que l'intérêt sportif a disparu.»
Le bilan est mince: assistances efflanquées, audiences rachitiques, pertes sèches. Les grands joueurs sont absents, entre ceux qui étaient au mariage de leur frère (Djokovic) ou à l'enterrement de la reine, ou Dieu ne sait où (Kyrgios, Cilic).
Il n’est pas exclu, certes, que dans un engouement de dernière minute, le vainqueur ne soulève pas les foules, comme au temps où la Coupe Davis descendait dans la rue et occupait les grands-places de ce monde. C'est l'apanage du sport (et de l'Eurovision de la chanson) que de rendre chauvin à partir de trois notes et vingt décibels, et nul doute que même un championnat d'Europe de bataille de coussins serait capable de réveiller une fibre patriotique.
Mais cette Coupe Davis-là, disputée dans un lyrisme surjoué, avec des faux airs de mondanités, entre des projos roses et des publics moroses, nous rappelle déjà à la réalité objective d’une compétition qui, de démodée et sacerdotale, est devenue dépassée et banale, promise à un anonymat total.
D'une compétition qui s'étalait tout au long de l'année, avec des confrontations directes entre deux pays sur le territoire hostile de l'un (en alternance avec celui de l'autre), la Coupe Davis est devenue une histoire de poules (4 x 4 équipes) concentrées dans autant de halles, pour l'abattage intensif, et éparpillées dans des pays vaguement concernés.
Il en est ainsi depuis que Gérard Piqué, footballeur en pré-retraite mais fils à papa hyperactif, a racheté la Coupe Davis avec l'argent du Japonais Rakuten, son sponsor au Barça. L’ancienne formule n’intéressait plus les champions. La nouvelle formule n’intéresse pas le public, et guère plus de champions.
Homme des grandes épopées en Coupe Davis, Marc Rosset la suit-il encore? «Non», nous confessait-il l'an dernier. Pourquoi? «Ça ne m’intéresse pas.» «Moi non plus», avouait Yves Allegro, alors que la Coupe Davis lui a tout donné.
Le Valaisan, 14 sélections en équipe de Suisse, mesure la perte inestimable d'un fleuron: «Ce qui m’ennuie, c’est que la plupart des enfants qui ont commencé le tennis ces trente dernières années l’ont fait grâce à la Coupe Davis. Dans de nombreux pays, il n’y a pas de tournoi, pas d’autre moyen de voir des joueurs en vrai. La Coupe Davis attirait un autre public et suscitait des vocations.»
Ion Tiriac sur la Coupe Davis trahie et vendue en 2019:
— Benoit Maylin (@BenoitMaylin) November 25, 2021
«Ces personnes n’ont jamais frappé une balle et ruiné 120 ans de tradition. Ils devraient être condamnés à la prison à vie pour ce qu’ils ont fait. C’est une honte. Ils ont ruiné le joyau du tennis.»
Je plussoie
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Piqué pensait relancer la Coupe Davis. Il n'y voyait rien de sorcier. Depuis, il change la formule chaque année sans que la magie opère. Ceux qui ont à peine assimilé le mode opératoire 2022, sans voir eu le temps de comprendre le modus 2021, dérivé du concept 2020, en seront pour leur peine: le statu quo est annoncé triomphalement pour 2023, avec des finales maintenues à Malaga en novembre.
L'an dernier, les huit finalistes s'étaient envolés pour Abu Dhabi, présenté comme l'hôte idéal (tant pis si les fils à papa hyperactif d'ici et d'ailleurs ne sont pas assez malins pour organiser des courses de chameaux sur l'hippodrome de Longchamps). Ce choix fut un tel tollé, suivi d'un échec non moins retentissant, que le contrat de cinq ans n'a pas survécu à la première édition.
«Rakuten a mis beaucoup d’argent et maintenant, il doit rentabiliser tout ça, résume Marc Rosset. J’imagine que les organisateurs ont pris un bouillon sur les dernières éditions. Ils vont chercher l’argent là où il est, même s'il n'y a pas de fans de tennis.»
Marc Rosset, qui a affronté le Brésil à Palexpo devant 18 000 spectateurs, pense qu'on «ne reverra plus ces ambiances de supporters. Que feront les gens? Ils réserveront une semaine à Malaga en espérant que leur équipe ne soit pas éliminé au premier tour? Des joueurs, eux, le feront. Certains pour le prize-money, d'autres parce qu'ils ont peut-être intérêt à prolonger la saison jusqu'à l'Open d'Australie et de faire une vraie coupure ensuite. Mais à la fin, tout ceci me fait davantage penser à une exhib qu’à une Coupe Davis.»
Le champion olympique reconnaît aisément que «la compétition avait un sérieux problème, c’est clair. Elle s'insérait mal dans le calendrier chargé de l'ATP et n'attirait plus les grands joueurs, ou pas assez régulièrement. Mais fallait-il absolument la déraciner à ce point? Pour ma part, j’ai fait le deuil de l’ancien format. Et le nouveau, disons-le franchement, je m’en shampouine les testicules (ndlr: version édulcorée).»
Actualisation d'un article paru le 2 décembre sur watson