Le système de retraite suisse repose sur trois piliers: la prévoyance étatique (AVS), professionnelle (LPP) et privée. En comparaison internationale, il est considéré comme exemplaire. Mais en pratique, il est de moins en moins capable de tenir sa promesse de garantir le niveau de vie à la retraite. Et cela n'est pas seulement dû au départ à la retraite des baby-boomers.
Selon le Global pension index du cabinet de conseil Mercer, les retraités des Pays-Bas ou du Danemark reçoivent davantage que ceux de Suisse. Reprenons depuis le début, et jetons un coup d'œil aux problèmes dont souffrent les trois piliers:
Cela s'explique aussi par le fait que les réformes de la prévoyance vieillesse peinent grandement à s'imposer dans le système politique. En fin de compte, ce sont les électeurs qui décident et ils ont bloqué pendant des années tout ce qui ressemblait à un «vol de rentes».
En septembre, pour la première fois depuis longtemps, une percée a été réalisée avec le oui de justesse à AVS 21, y compris l'âge de la retraite des femmes à 65 ans. Mais cela n'a été au mieux qu'un succès partiel, lié au fait que seulement 38% des femmes sont allées voter, contre 64% des hommes, selon une analyse Vox.
La seule «percée» décidée lors de la dernière session est la compensation intégrale du renchérissement dans l'AVS. C'était toutefois une petite bataille gagnée dans la guerre des retraites. Et les problèmes, notamment dans le système LPP, ne sont pas résolus.
Les retraités sont particulièrement assidus aux votes et aux élections, et les partis vont se battre pour attirer leurs voix lors des élections fédérales de l'année prochaine. Mais reprenons les choses dans l'ordre:
Mercredi, le Conseil national a traité l'initiative populaire de l'Union syndicale suisse pour une treizième rente AVS. Comme prévu, elle a été rejetée par la majorité bourgeoise, dénonçant le fameux «principe de l'arrosoir». Selon la droite, une grande partie des retraités n'a pas besoin d'une rente supplémentaire et le projet n'est «tout simplement pas finançable».
Si tous les partis sont d'accord en principe sur un renforcement de l'AVS, le deuxième pilier est une véritable épine dans le pied de la gauche. Certains parlementaires souhaiteraient même le supprimer.
La conseillère nationale PS zurichoise Jacqueline Badran, experte en prévoyance, n'irait pas jusque-là. Mais pour financer la treizième rente AVS, elle vise la prévoyance professionnelle, comme elle l'a déclaré au SonntagsBlick:
Le texte doit passer au Conseil des Etats et la votation populaire aura probablement lieu en 2024. Tout cela avec, en arrière-plan l'initiative populaire des jeunes libéraux-radicaux, souhaitant relever l'âge de la retraite à 66 ans et le lier ensuite à l'espérance de vie, qui «guette». Elle risque d'avoir du mal à passer.
Du côté de la réforme de la prévoyance professionnelle, c'est un sacré chantier. Depuis plus d'un an, le Parlement s'y emploie et la balle est maintenant dans le camp du Conseil des Etats
Le deuxième pilier est confronté à deux problèmes: le taux de conversion, qui détermine le montant annuel des rentes, est aujourd'hui de 6,8%. Ce taux est considéré comme non durable en raison de l'augmentation de l'espérance de vie. Le but? Etre abaissé à 6%.
En guise de compensation, le Conseil des Etats a décidé d'accorder un supplément de rente de 100 à 200 francs par mois à la moitié des assurés de quinze classes d'âge transitoires. Le Conseil national, quant à lui, ne voulait un supplément que pour ceux dont la rente serait effectivement réduite. Cette proposition n'a probablement aucune chance en cas de votation populaire.
Le problème? Le capital surobligatoire, pour lequel le taux de conversion légal ne s'applique pas. De nombreuses caisses de pension l'ont donc abaissé, parfois bien en dessous de 6%. Les victimes sont les assurés qui n'ont accumulé que peu de capital surobligatoire. Ils passent à travers les mailles du filet avec la proposition du Conseil national.
Les personnes concernées sont celles qui ont de faibles revenus, et ce sont souvent des femmes. On leur a promis plus ou moins explicitement avant la votation sur l'AVS en septembre d'atténuer les désavantages dans le deuxième pilier. Cela concerne le seuil d'entrée (un salaire annuel d'au moins 21 510 francs) et la déduction de coordination (25 095 francs).
Ces deux éléments empêchent les personnes à faible revenu de se constituer une rente de caisse de pension décente. Ces obstacles doivent maintenant être abaissés, mais le coup pourrait se retourner contre eux. En effet, les personnes concernées devraient s'attendre à des déductions plus importantes sur leur salaire déjà modeste, sans pour autant avoir forcément plus dans leur porte-monnaie à la retraite.
En effet, une rente LPP plus élevée entraîne des déductions sur les prestations complémentaires:
Le compromis des partenaires sociaux, soutenu par le Conseil fédéral, pourrait ainsi être remis en jeu. Il prévoit un supplément de rente à vie pour tous, financé par 0,5% de salaire. Cela introduirait un élément d'AVS dans le deuxième pilier et ne résoudrait pas non plus tous les problèmes. Mais c'est peut-être la moins mauvaise des solutions.
Comme le premier et le deuxième pilier sont de plus en plus chancelants, la prévoyance privée prend de l'importance. Il faut que «chacun prenne davantage ses responsabilités», demande la NZZ. C'est plus facile à dire qu'à faire, car seuls 60% environ des actifs cotisent plus ou moins régulièrement au pilier 3a, malgré les avantages fiscaux.
Certains ne s'en préoccupent pas, soit par insouciance, soit parce qu'ils ne veulent pas se pencher sur le sujet inconfortable de la prévoyance vieillesse. Mais beaucoup n'ont tout simplement pas assez d'argent à investir dans un troisième pilier.
Une AVS avec des soucis de financement, une prévoyance professionnelle avec des défauts de construction (on ne parlait même pas des frais administratifs) et un troisième pilier illusoire pour beaucoup: le système des trois piliers de la Suisse vacille, mais il n'est pas près de tomber.
De nombreux baby-boomers peuvent malgré tout s'offrir une vie décente. Mais environ 13% des retraités perçoivent des prestations complémentaires. La pauvreté des personnes âgées n'est pas un phénomène anodin en Suisse. Nombreux sont ceux qui craignent ce sort.
Si les politiques continuent à avoir du mal à trouver des solutions, la treizième rente AVS pourrait être acceptée, car beaucoup ne voient plus de sens au système des trois piliers.