Suisse
Economie

Les retombées économiques de l'Eurovision 2025 font débat

Il y a trois problèmes avec les calculs financiers de l'Eurovision

L'Eurovision en Suisse générera des dizaines de millions de valeur ajoutée, affirment les responsables de la manifestation bâloise. Comment en être si sûrs? On vous explique pourquoi les chiffres avancés sont critiqués et pourquoi l'événement pourrait malgré tout être rentable.
16.04.2025, 05:4016.04.2025, 05:40
KEYPIX - Die Sonderbriefmarke der Schweizerischen Post zu Fr. 1.20, kreiert anlaesslich des Eurovision Song Contest 2025 (ESC), fotografiert am Samstag, 8. Maerz 2025 in Zuerich. (KEYSTONE/Gaetan Ball ...
La Poste suisse a imprimé un timbre spécial pour l'Eurovision.Keystone
Stefan Ehrbar / ch media
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L'Eurovision de Bâle ne sera pas seulement une fête, mais aussi un vrai business. Le Conseil d'Etat de Bâle-Ville s'attend à environ 62 millions de valeur ajoutée à l'échelle locale. Il aura alors largement rentabilisé les 38 millions qu'il prévoit d'investir. Mais comment en être sûr?

Les études sur la création de valeur servent toujours à justifier les grands événements. La Ville de Berne a annoncé en 2016 qu'une halte du Tour de France avait généré «plusieurs millions». Zurich a justifié ses dépenses pour les championnats du monde de cyclisme 2024 par une plus-value «pouvant atteindre 60 millions». Pour les championnats du monde de hockey sur glace, organisés l'année prochaine, elle table sur une «valeur ajoutée brute de 60 millions de francs».

Les acteurs culturels privés misent également sur l'impact des chiffres affolants. Citant l'étude d'une «société de conseil internationale», le Lucerne Festival a affirmé en janvier que chaque édition rapporte jusqu'à 50 millions de francs. Le double concert de Taylor Swift à Zurich en été 2024 a permis 92,5 millions de retombées, selon la Haute école d'économie de Zurich (HWZ). Elle s'est penchée sur la question à la demande de Ticketcorner. Les organisateurs de la Fête fédérale de lutte suisse et des jeux alpestres à Mollis (GL) cet été promettent pour leur part 35 millions.

Bénéfice à court terme uniquement

Mais ces montants sont parfois contestés, et pas par n'importe qui. Ainsi, l'économiste Esther Arnet, qui dirige le service des transports de la Ville de Zurich, a récemment déclaré lors d'une conférence sur les championnats du monde de cyclisme qu'elle ne pensait «rien» de tels chiffres. Jürg Stettler, professeur à l'Institut de tourisme et de mobilité de la Haute école de Lucerne, est également sceptique. Il s'intéresse à ce sujet depuis des années. L'impact des événements uniques est souvent surestimé, a-t-il affirmé en janvier à la Revue de l'hôtellerie:

«De plus, peu de lieux parviennent à en tirer profit à long terme»

Les données sur lesquels s'appuie le gouvernement bâlois, mais aussi la SSR, proviennent d'une étude de l'université de Liverpool pour l'édition 2023, qui s'est déroulée dans cette même ville du Royaume-Uni. Les auteurs ont réalisé des entretiens, rassemblé des observations, analysé des données officielles et des indicateurs économiques.

Ils en concluent que les visiteurs ont dépensé 54,9 millions de livres à Liverpool - les 62 millions souvent cités, au taux de conversion de l'époque. Au taux actuel, ce serait 59 millions. Ils ne comprennent pas les dépenses qui n'ont pas été engagées sur place - le billet d'avion par exemple ou l'hébergement dans un hôtel en dehors de la ville.

Et les retombées indirectes?

Ce chiffre pose trois problèmes: premièrement, il ne tient pas compte du fait que des visiteurs seraient venus à Liverpool même sans le concours, et que celui-ci a aussi entraîné des pertes, car d'autres manifestations n'ont pas eu lieu en contrepartie. Les chercheurs chiffrent cet effet à environ 13 millions de francs, ce qui ramène les dépenses nettes des visiteurs à environ 46 millions. Ils en ont dépensé environ 35% pour la restauration et 31% pour l'hébergement. Dans d'autres villes comme Bâle, cela peut peser plus lourd encore.

Deuxièmement, les organisateurs doivent considérer l'ensemble de leurs dépenses: pour le montage de la scène ou les chambres d'hôtel pour les équipes. Selon les chercheurs, cela équivaut à près de douze millions.

Troisièmement, ce chiffre ne tient pas compte des retombées indirectes. Manger dans un restaurant ne crée pas seulement de la valeur pour l'établissement, mais aussi pour les fournisseurs. Avec ces effets, les dépenses des clients augmentent d'environ 30%, toujours selon l'université de Liverpool. Des effets similaires sont observés pour les frais des organisateurs.

Des problèmes de fond subsistent

La société de conseil EBP réalisera une étude similaire pour l'Eurovision 2025. Collaboratrice d'EBP, Josephine Clausen, explique que le modèle d'analyse se base sur des tableaux «d'inputs-outputs». Ils servent à décrire le cycle des biens d'une économie nationale. On y entre les dépenses de tous les acteurs et groupes de visiteurs concernés.

L'évaluation distinguera les effets directs et indirects. Afin de recueillir des données sur le comportement des visiteurs, EBP réalisera un sondage. Il demandera notamment d'indiquer ses frais de transport, ainsi que d'hébergement. Les participants devront aussi calculer combien d'argent ils auront lâché dans les stands de la manifestation, pour manger et pour de petites emplettes.

Cette méthodologie tient incontestablement la route, mais elle ne résout pas les problèmes fondamentaux de telles études. Malgré cette recherche, on pourra se demander si Bâle a un quelconque intérêt à ce que le public de l'Eurovision achète son dîner dans une Migros.

Et l'image dans tout ça?

Bien souvent, une grande partie des bénéfices économiques ne se mesurent même pas sur place. Les concerts zurichois de Taylor Swift en sont la preuve: les billets d'avion et autres frais de voyage du public américain représentent près de 16 millions de francs sur les 92,5 millions de valeur ajoutée. Cet argent a probablement été versé en grande partie à des compagnies aériennes étrangères. Les billets représentent plus de 24 millions de recettes. Une partie de la manne est en outre partie ailleurs. En revanche, d'autres régions suisses en ont profité: sur les quelque 11 000 visiteurs venus de l'extérieur de l'Europe, 74% se sont ensuite rendus dans une autre région du pays. Leur séjour a duré l'équivalent en moyenne de 3,9 nuitées, contre 0,3 pour les locaux.

Pour l'Eurovision, par contre, les Helvètes devraient constituer une plus grande part des spectateurs. A Liverpool, seuls 10% avaient fait le déplacement depuis un autre pays, et plus de la moitié arrivaient du grand Liverpool. Les prix actuellement élevés des hôtels à Bâle révèlent tout de même que de nombreux visiteurs suisses prévoient de passer au moins une nuit sur place. En outre, EBP va ventiler la création de valeur par région.

Autre argument en faveur des grands événements: un passage à la télé ou des posts sur les réseaux, c'est excellent pour l'image. Jürg Stettler, expert en tourisme, estime toutefois que l'on surestime souvent l'impact médiatique de ce genre de cas. La gloire ne dure en général jamais longtemps, a-t-il déclaré en substance à Hotelrevue. Qui se rappelle ainsi où ont eu lieu les Jeux olympiques d'il y a huit ou dix ans? Et il y a aussi le risque de la mauvaise pub: les manifestations contre la candidate israélienne sont ce que l'on retient de l'Eurovision en 2024 à Malmö, en Suède. On associe désormais les championnats du monde de cyclisme de Zurich à la mort accidentelle de la cycliste Muriel Furrer.

L'Euvovision en vaut tout de même la peine?

Selon le spécialiste, un événement isolé ne suffira de toute façon pas. Il doit s'accompagner d'une vision et d'une stratégie claires sur plusieurs années. Lenzerheide, par exemple, s'est concentrée sur le VTT il y a plus de dix ans et investit depuis massivement dans l'infrastructure. De nombreuses manifestations en profitent aujourd'hui. On intègre ces grandes manifestations dans l'offre, et non l'inverse, explique Jürg Stettler.

Selon lui, Eurovision et Bâle, en tant que ville culturelle, feront bon ménage. De plus, tous les projecteurs médiatiques seront braqués sur la ville rhénane le jour J. Mais il ne pense pas que cela impactera les réservations par la suite.

D'un point de vue économique, la compétition pourrait rapporter moins à Bâle que ne le laissent penser certains travaux. Mais ce n'est qu'un aspect parmi d'autres. Les villes se doivent d'accueillir des événements majeurs. Dans le meilleur des cas, elles créent des expériences uniques pour la population et les visiteurs. Même sans en retirer des dizaines de millions, l'édition bâloise peut devenir un franc succès - en rendant les habitants fiers et les hôtes satisfaits.

Traduit de l'allemand par Valentine Zenker

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