L'Eurovision, Dieu sait pourquoi, tombe toujours sur l’une de ces douces soirées de mai où on serait plus heureux attablé sur une terrasse avec un «gin-to» que devant son poste de télévision. D'autant qu'on sait comment s'achèvent ces heures de show pailleté: avec les yeux qui brûlent et le cerveau cramé.
Mais cette année est spéciale, puisque, ça ne vous a pas échappé, c'est à la maison que se tient cette 69e édition de l'Eurovision. L'ambiance s'annonce aussi explosive que larmoyante ce samedi soir à Bâle, car notre irremplaçable Jean-Marc Richard tire sa révérence et, surtout, on attend Céééliiiiiiine. En début de soirée, le suspens quant à sa présence sur scène est encore total.
Cette édition, c'est aussi la promesse de costumes signés Kevin Germanier, d'une toute nouvelle chanson de Louane pour la France, d'une bande de fans de sauna et d'un «micro qui éjacule», selon Cynthia, notre experte Eurovision, en nous glissant ses pronostics juste avant l'ouverture des feux.
21 heures, zééééé parti! Nemo, en robe de mariée et chapka blanche, ouvre le bal avec son désormais culte The Code pour chauffer la halle Saint-Jacques. Jean-Marc Richard et son acolyte de longue date, Nicolas Tanner, dégainent le ventilateur alors que les 26 délégations sélectionnées se succèdent pour faire coucou au public.
Le tout jeune padawan Norvégien Kyle Alessandro, 19 ans, ouvre le bal avec Lighter, une chanson consacrée au cancer de sa maman (on se croirait chez Miss France). Lui succède la Luxembourgeoise Laura Thorn pour parler empowerment féminin (décidément...) dans La Poupée Monte Le Son, avec une mise en scène complètement bluffante.
C'est ensuite autour de la très décriée, mais très divertissante chanson du représentant de l'Estonie, Tommy Cash, Espresso Machiato, qui a suscité une levée de boucliers chez les Italiens presque aussi virulente qu'un cappuccino à 13 heures de l'après-midi.
Tout aussi polémique, voici venue la chanteuse israélienne Yuval Raphael, avec New Day Will Rise, dont la présence à l'Eurovision a provoqué critiques et manifestations, pour une performance aussi touchante que lyrique mêlant anglais, français et hébreu.
Puis c'est le tout jeune groupe Katarsis, de Lituanie, qui évoque la dépression et les ténèbres, dans une balade à la fois rock et lyrique assez triste et très bizarre – et probablement beaucoup trop déprimante pour espérer gagner l'Eurovision.
La sixième chanson commence et Jean-Marc s'emmêle déjà les pinceaux entre la Suède et l'Espagne. On ne lui en voudra pas parce que la performance de la représentante espagnole Melody est tout simplement indigne d'intérêt.
Le groupe ukrainien Ziferblat est tout aussi peu enthousiasmant. Entre un chant à moitié faux et un costume hideux, nous voilà projetés dans ce que les années 1970 ont fait de pire. Mais que serait l'Eurovision sans sa dose de goût douteux?
Petit intermède musical un poil gênant, mais ô combien nostalgique de l'une des trois présentatrices, Sandra Simó, qui avait représenté la Suisse en 1991, avec une chanson en italien qui fait dégouliner nos tympans comme de la cire d'abeille.
Au moment où on se demande ce qui est en train se passer, les trois copines britanniques du groupe Remember Monday ont la même question avec leur What The Hell Just Happened? L'excellent timing ne suffira pas à nous convaincre. A ce stade, il nous reste encore deux heures à tirer et on attend désespérément les paillettes. Jean-Marc aussi, manifestement.
Heureusement, JJ, l'Autrichien de 23 ans, se révèle autrement plus heureux avec sa voix de diva dramatique - et nous permet du même coup de découvrir que Jean-Marc s'en sort très bien aussi quand il s'agit de monter dans les aigus. Enfin une performance à vous filer une crise d’épilepsie, quelque part entre l'opéra et la techno.
A la performance complètement barrée et également très eurovisionnesque des Islandais du groupe VÆB succède Tautumeitas pour la Lettonie. Pas renversant, mais Jean-Marc adore.
Claude, représentant des Pays-Bas, ose le français avec C'est la vie. Très chou, très doux, trop sage.
Tout le contraire de la Finlandaise Erika Vikman, avec son ICH KOMME ultra-provoc' et son micro géant qui éjacule des paillettes.
Après avoir versé quelques larmes d'ennui pour l'Italien Lucio Corsi et son appel à l'amour de soi universel, sur fond d'harmonica dépressif, voici venue la Pologne et Justyna Steczkowska. Laquelle retente sa chance 30 ans (oui oui, vous avez bien lu) après avoir échoué la première fois. A 52 ans, elle a au moins le mérite de ne pas avoir perdu de son pep's, avec des chorés dignes du Cirque du Soleil.
Le duo allemand composé du frère et de la sœur Abor & Tynna livre une performance tout à fait digne de l'Eurovision, avant un nouvel intermède sur les coulisses du concours et les secrets des changements de décor. Puis vient le tour de la Grecque Klavdia qui, contrairement aux délégations précédentes, a la bonne idée de chanter juste.
On en profite pour reposer nos oreilles.
Ça repart comme en 40 avec l'Arménien PARG et son titre SURVIVOR. Un coup de boost efficace sur tapis roulant – et, à 22h45, on commence à en avoir bien besoin.
Et maintenant, Mesdames et messieurs, place à la Suisse... Notre Zoë Më nationale entame son grand Voyage et, on manque peut-être de recul, mais c'est prodigieux. La halle Saint-Jacques est envoûtée et nous on chope de délicieux frissons.
Sans transition aucune, la Maltaise Miriana Conte enchaîne sur un autre registre avec un titre beaucoup plus remuant. Puis c'est au tour de la performance timide du Portugais NAPA et un titre dansant comme il faut de la Danoise Sissal, Hallucination. Sans oublier la bande de Finlandais frappadingues, pour la Suède, qui chantent leur amour du sauna dans Bara Bada Bastu.
Après un petit arrêt dans le stade Saint-Jacques, la très attendue Louane avec son très émouvant Maman, en hommage à sa... maman.
Tout autre style pour le chanteur de Saint-Marin Gabry Ponte et son Tutta L’Italia.
On conclut en beauté avec le duo albanais Shkodra Elektronike et «une expérience de migrants qui cherchent à se reconnecter avec leurs racines», dixit Jean-Marc.
Nos orbites commencent déjà à piquer et nos oreilles à saigner, minuit approche dangereusement, mais toujours aucune nouvelle de Cééééliiiiiiine. Une page de pub et demie plus tard, le public vote avec frénésie pour son poulain préféré pendant que notre lit nous fait les yeux doux. Il faudra bien la nouvelle chanson de Nemo, Unexplanable, pour nous convaincre de tenir le coup.
Enfin, les votes sont clos et les scores d’apprêtent à être égrainés. Après l'Autriche, la Suisse rafle ses premiers points. «Ça va être très serré», prédisent Jean-Marc et Nicolas Tanner. Ils ont raison. Alors que Zoë Më fait un parcours incroyable, l'Autriche rivalise dangereusement, pour se hisser finalement en tête du classement du jury.
A 1h00 très exactement, le verdict, cruel, finit par tomber: zéro pointé de la part du public pour la Suisse. Et c'est l'Autrichien JJ qui rafle la mise et remporte un trophée amplement mérité, avec 436 points.
Céline, elle, n'aura jamais pointé le bout de son nez.
On file se coucher avec une pensée émue pour tous les Jurassiens qui doivent encore s'enfiler deux heures de transports publics. Et une autre pour Jean-Marc parce que, vraiment, il nous manquera.