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L'hommage à Ebrahim Raïssi a été un casse-tête pour Berne

Le décès d'Ebrahim Raïssi a impliqué une série de décisions protocolaires.
Le décès d'Ebrahim Raïssi a impliqué une série de décisions protocolaires.watson / dr

La Suisse a feinté pour ne pas mettre les drapeaux en berne pour «le boucher de Téhéran»

Le défunt président iranien Ebrahim Raïssi est tenu pour responsable de milliers de condamnations à mort. Malgré tout, Ignazio Cassis a présenté ses condoléances. Selon les directives du DFAE, le drapeau devrait même être mis en berne – mais au Palais fédéral, on trouve une solution surprenante pour contourner la situation.
22.05.2024, 14:5928.05.2024, 10:40
Stefan Bühler / ch media
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Le lundi de Pentecôte, le conseiller fédéral Ignazio Cassis a officiellement présenté ses condoléances dans un tweet adressé aux proches du président iranien décédé dans un accident d'hélicoptère ainsi qu'aux «citoyens iraniens concernés».

Le tweet n'a pas été bien accueilli par tout le monde. Sur la plate-forme X, le président du Centre Gerhard Pfister a réagi en partageant un tweet de l'ancienne ministre allemande de l'Agriculture Julia Klöckner expliquant: «Nous ne présentons pas de condoléances pour Raïssi». Pfister a commenté:

«Ça pourrait aussi se passer comme ça, @ignaziocassis»

Mais Ignazio Cassis est un ministre en exercice et non un ancien ministre. Et il n'est pas le seul représentant de gouvernement occidental à avoir présenté ses condoléances – le président du Conseil de l'UE, Charles Michel, a, lui aussi, reçu un shitstorm pour ses «sincères condoléances». Il faut se rappeler que Raïssi est responsable de milliers de condamnations à mort en Iran, au moins 5000 selon Amnesty International.

Il était surnommé le «boucher de Téhéran». En tant que président, il était coresponsable de la répression sanglante des protestations en Iran et du soutien à la Russie dans la guerre contre l'Ukraine. Il n'est donc pas étonnant que Cassis ait, lui aussi, récolté plus d'un millier de commentaires, pour la plupart critiques.

Nos recherches montrent que le Département des Affaires étrangères n'était pas à son aise avec ce décès. Selon certaines informations, les «Directives concernant le drapeau des bâtiments de la Confédération» ont causé des maux de tête:

«En cas de décès du chef d'Etat en exercice d'un pays entretenant des relations diplomatiques avec la Suisse, (...) le drapeau suisse doit être mis en berne sur le Palais fédéral Ouest le jour du décès et le jour de l'inhumation.»

Et ce n'est pas tout. En effet, si l'on se base sur l'Aide Mémoire du Conseil fédéral, le ministre des Affaires étrangères en exercice doit effectuer une visite de condoléances à l'ambassade d'un chef d'Etat décédé en fonction. En outre, le Conseil fédéral doit envoyer une lettre au gouvernement. Dans le cas de «pays partenaires importants», il peut même envoyer une représentation à la cérémonie funéraire.

On peut se demander si l'Iran, où la Suisse assure de «bons offices» aux Etats-Unis, est un «pays partenaire important». Berne tient en tout cas beaucoup à ces bons offices. Cela conduit parfois à des contorsions dans les relations avec les mollahs. Par exemple lorsque l'ambassadrice Maya Tissafi, en charge de l'Iran, a été photographiée en 2023 en train de rire avec un représentant du régime, alors que celui-ci réprimait violemment de jeunes manifestants.

Parallèlement, la diplomatie suisse peut aussi se targuer de succès. Ainsi, Nadine Olivieri Lozano, ambassadrice à Téhéran, a joué un rôle important en avril en tant que médiatrice entre les gardiens de la révolution iranienne et les Etats-Unis, alliés d'Israël, lorsque des missiles ont été tirés depuis l'Iran sur Israël. Ceci en pleine nuit et, selon les médias internationaux, alors que l'attaque était encore en cours. Elle a probablement contribué à ce que le conflit ne s'envenime pas davantage cette nuit-là.

Le président Raïssi n'est pas chef d'Etat

Que fait le DFAE dans le cas présent? Doit-il mettre le drapeau en berne? Et faut-il que Cassis rende une visite de condoléances à l'ambassade d'Iran? En bref: quel honneur la Suisse officielle rend-elle à un criminel des droits de l'homme comme Raïssi?

Ce que l'on peut déjà dire: contrairement à la mort du président polonais Lech Kaczynski, décédé en 2010 dans un accident d'avion, les condoléances de Berne sont plus discrètes. A l'époque, la présidente de la Confédération Doris Leuthard avait présenté ses condoléances au peuple polonais dans un communiqué détaillé «au nom de l'ensemble de la population suisse». La présidente de la Confédération Viola Amherd n'a jusqu'à présent rien dit sur le décès accidentel de Raïssi – seul Cassis a communiqué quoi que ce soit.

Mardi en fin d'après-midi, le DFAE a pris position sur les événements. Si Cassis a présenté ses condoléances et non la présidente de la Confédération, c'est «parce qu'il connaissait personnellement aussi bien le ministre iranien des Affaires étrangères que le président iranien».

Une lettre de condoléances officielle de la présidente de la Confédération sera toutefois envoyée dans les prochains jours, conformément aux usages diplomatiques de la Suisse. La lettre devrait être remise au niveau diplomatique à l'ambassade iranienne à Berne.

De son côté la discussion sur le drapeau prend une tournure surprenante. Le DFAE a constaté:

«En Iran, selon la constitution, c'est le "leader suprême" qui est le chef de l'Etat, donc le président défunt occupait la fonction de chef du gouvernement. C'est pourquoi le drapeau ne sera pas mis en berne jeudi sur l'aile ouest du Palais fédéral.»

Coup de chance. Toutefois, le «leader suprême» est Ali Khamenei, le guide religieux et révolutionnaire. Il est âgé de 85 ans. La problématique du drapeau en berne est donc reportée – mais n'est pas pour autant résolue.

Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci

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