C'est une odyssée, une quête intérieure, l'un des plus beaux exploits dont peut rêver un nageur romand: traverser le Lac Léman dans le sens de la longueur, entre l'embouchure du Rhône et le centre-ville de Genève, puis en sortir affamé, épuisé, gelé, groggy. Heureux.
C'est tout cela que Noam Yaron a ressenti samedi matin après avoir pulvérisé le record jusque-là détenu par celui qui est désormais son dauphin (espagnol) au classement.
Sa réussite donnera peut-être des idées aux nageurs qui en ont marre de se cogner le bonnet au bout des lignes de piscine. Pourquoi ne pas oser l'expérience? Après tout, aucun de ceux qui l'ont tentée n'étaient des professionnels. Ils ont simplement respecté un plan de bataille, une sorte de guide pratique dont nous vous livrons les principales étapes.
Et ne pas compter ses heures, même quand on est un excellent nageur. Noam Yaron a été champion de Suisse du 3000 m en eau libre; il lui a fallu pourtant 8 mois d'entraînement intensif pour atteindre la condition physique nécessaire à son aventure, qu'il compare à un marathon de 300 km en course à pied.
Flavie Capozzi s'était également astreinte à une discipline militaire pour rallier Genève après 31h19 d'effort il y a deux ans. Certains jours, elle nageait jusqu'à 25 km, enchaînant deux semaines de préparation intensive et une autre plus calme.
Par mesure de sécurité, chaque nageur d'endurance doit être accompagné par une petite équipe de suiveurs. Noam Yaron était ainsi précédé de deux bateaux: un catamaran et une petite embarcation avec, à son bord, une coach sportive et santé ainsi qu'un nutritionniste.
Deux ans plus tôt, Colin Pesson avait réalisé sa traversée (en 28h) avec son coach de Genève Natation en kayak et des membres de sa famille sur le bateau chargé du ravitaillement.
Contrairement à la traversée de la Manche, aucune règle ne formate encore celle du Léman: chacun peut donc choisir son point de départ, et déterminer sa ligne d'arrivée. Les nageurs ont toujours suivi le même sens, d'est en ouest, du canton de Vaud à celui de Genève. Certains sont partis de Villeneuve, du Bouveret ou de Veytaux et tous sont arrivés aux Pâquis.
Il s'agit ensuite de cibler la fenêtre idéale en tenant compte des évènements météorologiques. Noam Yaron avait prévu de s'élancer à 18h vendredi, mais il a avancé son départ à 15h afin de ne pas être ralenti par la bise annoncée samedi matin. «Nous avons appelé Météosuisse pour pouvoir confirmer le départ», a-t-il dit à La Côte.
Combien de fois Colin Pesson a-t-il songé à arrêter? Rapidement pris de vomissements, ravitaillé avec de simples morceaux d'orange et des compotes de pommes, la vue brouillée par des hallucinations, le dos bloqué, le Genevois de 17 ans avait mis 28 heures pour rejoindre la côte en 2019.
Le meilleur moyen de survivre consiste à poser son cerveau sur le bateau et à mouliner les bras comme un automate, en répétant inlassablement les mêmes gestes.
Même en ayant tout planifié, le nageur sera confronté à des problèmes qu'il n'aura pas pu anticiper et c'est normal: il n'y a pas de traversée d'entraînement. Chaque tentative est une première, une découverte de ses propres limites, physiques et mentales.
C'est par intérêt pour ces découvertes qu'Alain Charmey a montré la voie en 1986. «Je partais dans l’inconnu mais c’est cet inconnu qui m’attirait, relate le pionnier de la traversée. Je voulais voir ce qui se passe quand le corps lâche, les bras ne répondent plus et qu’on commence à cogiter.»
Il a vu, et n'a rien oublié.