Ludovic Magnin, après l’entraînement d'aujourd'hui, vous avez demandé avec insistance aux jeunes joueurs de ranger le matériel. C'était délibéré?
Non, ça s’est produit comme ça. Certaines choses dans le football sont importantes pour moi. Le sport est aussi une école de la vie. Sur le terrain, j’exige surtout du respect et de l’engagement de la part des jeunes joueurs. Ça inclut également le rangement.
Au début de votre carrière de joueur à Yverdon, vous avez suivi une formation d'enseignant.
Lucien Favre, le coach, s’entraînait le matin uniquement avec les Brésiliens, et pour le reste de l’équipe, l’entraînement était à 17h30. C’était normal de travailler en parallèle. Après l’entraînement, il fallait encore faire des choses pour l’école. Les journées étaient longues.
Mais ça vous a aidé dans votre développement personnel.
Absolument. Je savais ce qu’était la vie. Aujourd’hui encore, je suis favorable à ce que les jeunes joueurs aient d’autres activités en dehors du sport, plutôt que de passer leur temps sur la Playstation ou sur les réseaux sociaux. Ça aide aussi à développer une culture du travail.
En fait, vous avez déjà travaillé comme enseignant?
Seulement pendant mon stage de formation. Et pendant le confinement, en faisant de l’école à la maison avec mes enfants. J’ai dû renoncer par écrit au poste réservé aux jeunes enseignants dans une école du canton de Vaud à cause de mon transfert à Lugano. (Rires)
Votre formation pédagogique vous aide aujourd’hui dans la gestion des joueurs?
C'est sûr. Le football concerne aussi beaucoup la gestion des personnes. C’est au moins aussi important que la compétence sportive.
En tant que joueur, vous avez eu de grands entraîneurs: Lucien Favre, Thomas Schaaf, Giovanni Trapattoni ou Köbi Kuhn, entre autres. De qui avez-vous tiré le plus d’enseignements?
De chacun d’eux un peu. Ce qui était intéressant, c’est que leurs méthodes fonctionnaient différemment selon l’environnement. Lucien Favre dessinait déjà des plans tactiques sur le pare-brise de sa voiture lors de ses années à Echallens et travaillait avec les jeunes sur des détails techniques.
Aujourd’hui, aucun stage d’entraîneur ne recommanderait ça, Schaaf l’a probablement observé auprès d’Otto Rehhagel. Mais en contrepartie, il est venu me chercher personnellement à l’aéroport après mon transfert et avait toujours une oreille attentive. Chaque entraîneur a ses faiblesses, mais de bons entraîneurs les compensent, par exemple, avec un entraîneur adjoint ayant les qualités nécessaires.
Et c'est quoi votre faiblesse?
Au début de ma carrière d’entraîneur, je voulais certainement en faire trop. Mes entraînements au FC Zurich duraient une éternité, parce que je voulais traiter tous les détails. Kevin Rüegg (un joueur qui a évolué à Zurich et à Bâle sous Magnin) avait peur que ça se reproduise à Bâle. Mais aujourd’hui, je ne fais plus comme ça.
Quand avez-vous pris conscience de ça?
Après mon licenciement au FCZ, j’ai eu un an et demi pour réfléchir sur moi-même à cause de la pandémie. En réalité, j’aurais aimé faire des stages, parce que je suis convaincu qu’un bon entraîneur vole les bonnes idées des autres entraîneurs.
A cette époque, j’ai aussi réfléchi plus précisément à quel type de football je voulais jouer et comment y parvenir.
Mais à Altach, ça n'a pas été possible d'imposer votre football.
Non. Là-bas, il s’agissait de se maintenir en première division. Avec une défense à cinq, une transition rapide et deux attaquants. Même à Lausanne, il m’a fallu du temps pour imposer mon football offensif et de pressing. Je suis heureux que, désormais en Suisse, je sois reconnu pour cette philosophie et que le FC Bâle m'ait engagé pour cette raison.
A Lausanne, vous avez aussi joué un peu le rôle de directeur sportif. A Bâle, vous avez Daniel Stucki à vos côtés. Comment se passe la collaboration avec lui?
L’expérience à Lausanne a été intéressante, mais aussi très éprouvante. C’est pourquoi je suis content de pouvoir maintenant me concentrer uniquement sur mon métier d’entraîneur. L’échange avec Daniel se passe bien. Je sais à quoi ressemble la planification des effectifs et je peux aussi donner des suggestions.
Par exemple, pour l'arrivée de l'ex-Lausannois Koba Koindredi?
C'est le FC Bâle qui l’a recruté, pas moi. Mais bien sûr, je suis heureux qu’il joue à nouveau dans mon club. Avec sa technique, ses qualités en duel et sa compréhension du jeu, il s’intègre bien dans notre style de jeu. C’est un joueur complet.
Un entraîneur crée comment l'unité dans son équipe?
La meilleure recette, c'est les victoires. Elles aident à créer une dynamique positive et apportent du plaisir à l’équipe.
Des soirées ensemble, idéalement aussi avec les compagnes ou simplement du temps passé sans l’entraîneur principal, ont aussi un effet positif. A haut niveau, la cohésion de groupe fait souvent la différence.
Quand vous étiez joueur, les footballeurs sortaient davantage faire la fête. Il n'y a jamais eu de problème?
Non, tant que ça ne se produisait pas avant un match ou qu’il n’y avait pas d’excès d’alcool, c’était accepté. En semaine avec plusieurs matchs, bien sûr, ce n’était pas possible. Aujourd’hui, le football est devenu plus professionnel. Les joueurs boivent même de l’eau en sortant. Cette évolution mérite d’être saluée, parce qu'aujourd’hui, plus qu’avant, on travaille pour sa carrière.
Vous alliez souvent voir l’entraîneur pour discuter de certaines choses. Pourquoi?
Je n’étais pas un joueur facile, car je donnais toujours mon avis et remettais tout en question. Quand je ne jouais pas, j’allais voir l’entraîneur pour lui demander ce que je devais changer pour retrouver une place de titulaire.
Quel droit de regard un joueur doit-il avoir?
A Brême, on avait Johan Micoud, un meneur de jeu génial, un vrai leader. Il était très intelligent et pratiquement un second entraîneur sur le terrain. Déjà à l’époque, il me disait pendant les exercices: «Ludo, ça n’a pas de sens, un entraîneur ne devrait jamais faire ça...».
Jusqu’où les joueurs du FC Bâle peuvent-ils remettre en question vos choix?
Il faut toujours un bon équilibre. Sinon, aucune équipe ne fonctionne. J’ai toujours trouvé cette question intéressante. Avec l’équipe nationale, on avait toujours trois cultures différentes, et chacune avait une approche différente du football. C'est aussi intéressant de constater que des différences religieuses et culturelles posent des problèmes dans de nombreux endroits du monde, mais dans un vestiaire de football, il n'y a jamais d'ennuis de cet ordre. Ça montre la force du sport.
Toujours en parlant de gestion humaine, c'est quoi la clé pour gérer les jeunes joueurs?
Pour moi, la volonté des jeunes joueurs est déterminante. Ils doivent être désireux d’apprendre et s’entraîner davantage que, par exemple, Xherdan Shaqiri. C’est pourquoi on a ajouté Simone Grippo au staff en tant qu’assistant, pour qu’il s’occupe des joueurs qui naviguent entre l’équipe première et les jeunes.
S’imposer, surtout au FCB, est difficile. Ça prend du temps. Grâce à la Coupe d'Europe cette saison, il pourrait y avoir plus d’opportunités pour obtenir du temps de jeu que la saison dernière. Mon souhait est que des joueurs issus de notre propre formation réussissent à s’imposer dans l’équipe première.
Justement, par rapport à l'Europe, vous avez placé la Ligue des champions comme objectif.
On en est si proches. Il ne nous manque que deux matchs pour vivre cette expérience extraordinaire et jouer des matchs passionnants. Même si on sait qu’il nous faudra un peu de chance au tirage du barrage et dans les matchs, il ne peut y avoir d’autre objectif que de franchir cet obstacle.
Avant de signer au FC Bâle, vous avez appelé une vieille connaissance: Lucien Favre.
Le contact n’a jamais été rompu depuis ma période junior. Il m’a dit que je devais prendre la décision pour le FC Bâle seul et qu’il ne pouvait pas me donner de conseils à ce sujet.
Je lui demande souvent d'anciens exercices que j’avais appréciés, mais dont je ne me souviens plus exactement comment les faire. Lucien les connaît encore tous.
Vous avez passé dix ans au FC Zurich en tant que joueur puis entraîneur. Ça vous pose problème de coacher désormais l'ennemi juré?
Non. Mon ennemi juré en tant que Lausannois, c’était Servette, c’est avec eux que j’ai grandi. J’ai passé de bons moments à Zurich, sans aucun doute. Mais mon allemand a un accent français. Mon cas est différent de celui d’Urs Fischer (un Zurichois, qui a entraîné Bâle entre 2015 et 2017), je pense.
Adaptation en français: Yoann Graber