L'Eurovision qui aura lieu à Bâle compte deux particularités linguistiques. D'une part, le concours comporte cinq chansons partiellement ou intégralement en français (incluant deux pays non francophones) et d'autre part, il comptabilise 19 chansons sur 37 en langues nationales. A titre comparatif, l'édition 2016 comptait 34 chansons uniquement en anglais sur 42. Comment interpréter ce regain d'intérêt des langues nationales à l'Eurovision? Véritable tendance ou effet de mode? Eclairage d'Oranie Abbes, enseignante-chercheuse spécialiste de l'Eurovision.
C'est un fait notable, l'Eurovision 2025 comptera cinq chansons intégralement ou partiellement en français. Louane pour la France, Zoë Më pour la Suisse et Laura Thorn pour le Luxembourg chanteront exclusivement en français, tandis que Claude pour les Pays-Bas et Yuval Raphaël pour Israël le feront partiellement.
Comment expliquer le succès de la langue française cette année? A cette question, Oranie Abbes enseignante-chercheuse franco-luxembourgeoise, ne cache pas sa fierté: «L'une des raisons de regain du français est mathématique. Il s’agit, entre autres, du retour du Luxembourg à l'Eurovision». En effet, l'enseignante nous explique sur les cinq chansons en français, il y a trois pays francophones (France, Suisse et Luxembourg) et ceux-ci utilisent la langue de Molière à des fins stratégiques.
Ce lien culturel et linguistique est connu au sein du concours, mais cette édition 2025 voit aussi des pays non francophones, comme les Pays-Bas et Israël présenter des chansons partiellement en français. Dans le cas des Pays-Bas, le chanteur Claude est d'origine congolaise et de langue maternelle française, tandis que Yuval Raphaël, représentante d'Israël, a souhaité ajouter un couplet en français, car elle a étudié en Suisse. «Il y aussi sans doute des raisons personnelles, des trajectoires de vie qui poussent ces deux candidats à chanter en partie en français», commente la spécialiste de l'Eurovision.
Mais ce n'est pas tout, à ces deux raisons, se mêlent aussi les récents succès des chansons francophones aux dernières éditions de l'Eurovision. Slimane arrivé quatrième en 2024, Barbara Pravi seconde 2021 et Gjon's Tears troisième la même année, ont en quelque sorte été les catalyseurs du regain d'intérêt du français.
Mise à part ces cinq chansons intégralement ou partiellement de la langue de Molière, l'Eurovision 2025 cache une autre spécificité, celle du retour en force des langues nationales. La question n'était donc pas de savoir pourquoi le français semblait avoir le vent en poupe cette année, mais pourquoi tant de pays ont abandonné l'anglais au profit de leur langue nationale.
Pour mieux comprendre l'enjeu de l'utilisation de l'anglais à l'Eurovision, un détour par la case histoire est nécessaire. A la création du concours en 1956, aucune règle sur l'emploi des langues dans les chansons n'était stipulée. A la première édition de l'Eurovision, fait étonnant, sept chansons sur les quatorze furent interprétées en français (pour ceux qui se demandent pourquoi le français était de mode, vous pouvez consulter cet article👇🏽)
En 1956, il est donc d'usage d'utiliser sa langue nationale pour représenter son pays. Près d'une dizaine d'années plus tard, en 1965, la Suède secoue l'institution en chantant en anglais. Shocking! La controverse est née et l'Eurovision instaure une règle imposant à chaque pays de chanter dans sa langue nationale dès l'édition de 1966.
Mais cela ne durera que sept ans. En effet, en 1973, l'Eurovision abroge l'obligation de chanter dans sa langue nationale. Vous pensez en avoir fini? Pas du tout. De 1973 à 1976, une grande partie des concurrents optent pour l'anglais qui devient extrêmement populaire, à titre d'exemple, en 1976, un tiers de participants chantaient en anglais. C'est alors que le concours rétropédale et réintroduit l'obligation des langues nationales dès 1977. Selon Le Monde cette réintroduction a été exigée par le télédiffuseur français qui jugeait l'influence de l'anglais nuisible au concours. Cette règle perdura pendant 22 ans. En 1999 et suite à des réclamations de télédiffuseurs, l'obligation de chanter dans sa langue nationale est définitivement abolie.
Depuis 1999, tous les pays sont libres de choisir la langue de leur chanson. Depuis, la part de la langue anglaise n’a cessé de progresser, année après année, jusqu’à passer la barre des 90% en 2016, selon Le Monde.
On ne peut ignorer que depuis la création du concours, la moitié des éditions ont été remportées par des chansons écrites et chantées en anglais, l'usage de la langue de Shakespeare augmente clairement les chances de victoire, mais cela n'est pas sans risque.
Mais alors que l'on croyait la domination sans partage de l'anglais, une surprise laissera les commentateurs de l'Eurovision sans voix. L'édition 2017 de l'Eurovision est remportée par le chanteur portugais Salvador Sobral avec la chanson Amar Pelos Dois.
Selon la chercheuse, la tendance se confirme pour l'édition bâloise avec 51% des chansons qui sont en langues nationales.
On ne peut toutefois clore cette analyse de la résurgence des langues nationales sans évoquer le retour des nationalismes en Europe. L'Eurovision agissant comme une caisse de résonances des enjeux politique européens, doit-on percevoir dans l'usage des langues nationales une montée des nationalismes? Pour Oranie Abbes, l'analyse de cette tendance ne doit pas s'effectuer au travers du prisme politique.
Pour la spécialiste du concours, l'Eurovision c'est aussi un moment de découverte et l'utilisation de sa langue nationale montre la richesse culturelle de chaque pays. «Une véritable quête d'authenticité», conclut l'enseignante-chercheuse.