C'était ce mercredi, dans le Bureau ovale, en pleine réunion avec le premier ministre irlandais. L'attention de Donald Trump se détourne du thème principal - l'inflation - pour se reporter sur un détail. Obsédant. Bien visible. Les chaussettes de son vice-président. Un modèle en effet peu discret orné de trèfles verts, clin d'œil subtil à la Saint-Patrick et à ses invités irlandais.
«J'adore tes chaussettes», lâche Donald Trump à JD Vance, fasciné. Celui-ci est pris d'un grand éclat de rire, pendant que le président continue de s'extasier sur le choix vestimentaire de son acolyte.
Un penchant pour les pantalons trop courts qui, non contents d'amuser déjà les réseaux sociaux, a volé la vedette et l'attention. Encore un exemple, s'il en fallait un, que le truculent sénateur de l'Ohio de 40 ans n'a aucune intention de camper tranquillement le rôle de bibelot, comme le veut la fonction.
Vice-président. Un job de l'ombre, réputé pour être ennuyeux, frustrant, souvent ingrat. Un job qui se limite à faire du surplace et écoper du sale boulot, en attendant d'accéder un jour, pourquoi pas, au poste suprême. Comme le résumait Theodore Roosevelt en son temps:
C'est peu dire que JD Vance envisage une toute autre trajectoire que ses prédécesseurs. Avec une approche autrement plus virulente, médiatique, pugiliste - mais aussi, peut-être, productive.
Il s'était pourtant montré plutôt effacé, le jeune colistier de Donald Trump, tout au long de la campagne présidentielle et des premiers jours du mandat. Eclipsé par son grand «rival», Elon Musk, le Raspoutine et coupeur de tête en chef, dont le rôle démesuré et peu conventionnel au gouvernement a rapidement éclipsé le vice-président.
Toutefois, glissent des sources au Washington Post, malgré l'influence du milliardaire de Tesla sur l'agenda de Donald Trump et leur affinité affichée, JD Vance ne voit pas l'influent responsable du DOGE comme une menace. Il n'aurait aucun problème non plus avec l'attention médiatique dont bénéficie Elon Musk. Au contraire, les deux hommes entretiennent une relation «amicale», ponctuée de SMS et d'appels téléphoniques réguliers.
La bromance entre l'homme le plus riche du monde et Donald Trump n'a pas non plus empêché JD Vance de nouer lui-même un lien fort avec le président. Selon plusieurs médias américains, s'ils n'ont déjeuné ensemble que «deux fois» depuis leur prise de fonction, en janvier, ils ont parlé presque quotidiennement en personne ou par téléphone. JD Vance passe la plupart de son temps dans son bureau de l'aile ouest, à quelques pas du Bureau ovale, où il profite d'un accès sans rendez-vous.
Fort de la confiance et d'une certaine marge de manœuvre de la part de Donald Trump, JD Vance est en train de tracer sa propre voie. Avec audace et indépendance. N'éprouvant pas le besoin - comme d'autres anciens vice-présidents - de camper constamment aux côtés du chef de l'Etat, il s'est illustré ailleurs.
Soldat dévoué de la campagne, soucieux de ne jamais éclipser le grand patron, JD attendait patiemment de démontrer sa propre capacité à choquer et faire étalage de son talent pour capter l'attention des médias.
C'est peu dire que ses débuts sur la scène internationale ont été fracassants. A commencer par un premier voyage en Europe, mi-février, au cours duquel l'auteur à succès et contributeur régulier de la chaîne CNN a stupéfié lors de la Conférence de Munich, entre réprimandes aux alliés européens et fleurs lancées à l'extrême droite allemande.
Ce n'était qu'un avant-goût du drame suivant: quinze jours plus tard, un JD Vance à l'arrogance éclatante se lance dans une brimade humiliante de Volodymyr Zelensky lors d'une réunion dans le Bureau ovale qui marquera durablement les esprits. «JD Vance incarne parfaitement ce que beaucoup d'Européens méprisent chez les Etats-Unis», écrit à ce sujet Stephen Collinson dans une analyse pour CNN.
Décrit comme extrêmement intelligent et doté d'un flair redoutable pour savoir «où le vent souffle», quitte à passer pour un calculateur «maléfique», JD Vance s'est muté en chien de garde féroce, défendant sans relâche le programme de Donald Trump et attaquant sans hésiter ses opposants.
Vice-président d'un genre particulier, il n'entend ni jouer les maîtres machiavéliques de l'ombre, comme un Dick Cheney ni les spécialistes de la politique étrangère, comme un Joe Biden. Et encore moins de contenter de jouer les méchants flics à la frontière et de réparer les pots cassés, à l'image de Kamala Harris.
En effet, celui qu'on surnomme le «troll en chef» de la Maison-Blanche, est un utilisateur enthousiaste de X (un rôle qui témoigne d'une grande confiance de Donald Trump pour accepter de céder la vedette) et manie comme nul autre l'art de la punchline assassine. Selon une personne familière, il écrit lui-même tous ses messages.
Mais JD Vance ne se contente pas de prôner le rôle de l'énième toutou braillard de Donald Trump - qui en compte déjà beaucoup. Parallèlement à ses attaques publiques, en coulisses, il a également joué le rôle de conciliateur et de metteur en scène des projets du numéro un.
Si des sources proches de lui affirment dans Politico qu'il sera traité comme un «généraliste» et ne sera pas pourvu d'un «portefeuille traditionnel» comme il est d'usage pour un vice-président, il s'est tout de même vu confier parmi les missions les plus difficiles et casse-gueules du mandat présidentiel.
A commencer par la négociation de la vente de TikTok à un acheteur américain, un dossier sur lequel Donald Trump et Joe Biden se sont cassé le nez avant lui. Une marque de confiance ou une mise au défi de la part du président?
En attendant, la plupart des observateurs s'accordent à dire que JD Vance a déjà remporté une première victoire: contribuer à la confirmation de la liste des candidats au cabinet de Donald Trump, en allant draguer et discuter avec les membres du Sénat. Une mission confiée par le président en personne.
«Il a su suggérer une voie à suivre, de son côté, et accepter mes suggestions de mon côté», salue le sénateur républicain Bill Cassidy, que JD Vance a contribué à convaincre de soutenir RFK Jr au poste de ministre de la Santé et aux Services sociaux, dans le Washington Post.
Par sa loyauté à toute épreuve à Donald Trump, JD Vance a déjà commencé à se tailler la réputation d'un héritier du mouvement MAGA. Le vice-président a appris des erreurs de son prédécesseur, Mike Pence, qui a passé une bonne partie de son mandat à adoucir ou recadrer les déclarations et actions les plus controversées du 45ᵉ président dans un cadre traditionnellement conservateur.
Contrairement à ce dernier, JD Vance a un avantage: il n'est plus obligé de naviguer entre l'establishment républicain et les factions MAGA du Parti. Les deux univers ont désormais fusionné autour de Donald Trump.
Au contraire, JD Vance a désormais toute la liberté d'enfoncer chaque parole du «maître» encore plus profondément dans la gorge de ses adorateurs. De là à être récompensé par le Graal ultime, la bénédiction du fondateur et sa nomination comme successeur?
Pour cela, l'édile de 40 ans doit continuer à faire ses preuves. Car Donald Trump, comme il l'a rappelé le mois dernier avec une pointe d'humour sur Fox News, n'est de loin pas prêt à céder son trône à qui que ce soit.