Tous les dimanches, une grappe de supporters de Donald Trump enfile sa casquette MAGA, empoigne drapeaux et enceintes portables, pour se retrouver à quelques mètres du domicile du candidat républicain, à l'entrée de Palm Beach. Parmi eux: Jestin Nevarez, 37 ans, trumpiste depuis 2016, après avoir soutenu Barack Obama en 2008 et 2012.
Il faut dire qu'il y a autant de trumpistes que de fast-foods aux Etats-Unis. L'ultra-conservateur classique, l'assaillant du Capitole, l'ouvrier qui voudrait un meilleur pouvoir d'achat ou le théoricien du complot. S'il vote pour des «personnalités» et moins pour des partis, Jestin a parfaitement intégré le verbiage de Donald Trump et le considère comme son «héros».
Dimanche, pourtant, l'ambiance n'est pas à la fête. Dans l'après-midi, un individu a glissé le canon de son AK-47 à travers les grillages du Trump International Golf Club, situé à West Palm Beach. L'homme a été arrêté dans la foulée et personne n'a été blessé.
On est tombé sur Jestin Nevarez le lendemain, même heure, même endroit. En l'occurrence, le dernier parking avant que les agents du Secret Service ne bloquent la route qui mène au repaire clinquant de son idole.
Jestin est seul. «Des amis à moi vont débouler bientôt, je suis le premier», nous glisse-t-il tout en dégainant son imposant attirail. Deux mâts, une demi-douzaine de drapeaux, une Nissan gorgée de merchandising MAGA et une playlist qui démarre avec Talk 2 Me, d'un certain Ant Dola. Le plan de bataille est tellement rodé que le bonhomme se montre plutôt disposé à taper la causette.
On passera finalement plus d'une demi-heure en sa compagnie, pour évoquer les tentatives d'assassinat, la violente campagne présidentielle, le mouvement MAGA, Mar-a-Lago et l'après-Donald Trump.
Vous avez dormi sur place depuis les événements qui se sont déroulés au Trump International Golf Club de West Palm Beach?
Dormir? Ici? Nan, quelle idée!
Vous étiez quand même dans les parages hier, après ce que le FBI a décrit comme une «possible tentative d'assassinat» de Donald Turmp?
Bien sûr, nous étions nombreux dimanche soir devant Mar-a-Lago. Enfin, pas devant, parce que le secteur était bouclé. L'ambiance était électrique, c'était de la folie. Les agents du Secret Service nous ont éjectés du parking. On a dû s'installer un peu plus bas, juste avant le pont.
Vous êtes une sorte de «chef», dans le coin?
(Il soupire vaguement) Arf! Oui et non, disons... en quelque sorte. Je ramène des gens dans le coin!
Et le Secret Service qui protège Trump autour de son manoir est cool avec vous la plupart du temps?
Ouais, ils nous connaissent à force. Nous n'avons jamais eu de problème.
Quel a été votre premier sentiment quand vous avez appris l'incident au golf du candidat?
J'étais très triste et en colère. Deux fois en deux mois, les gens sont fous. Il n'y a que Trump qui est visé par des tirs, jamais Kamala Harris, jamais Joe Biden, jamais les démocrates. Le type, c'était un démocrate, il déteste Trump.
Le suspect avait quand même voté pour lui en 2016, avant d'avouer sa déception, d'après ce que l'on sait aujourd'hui de son passé.
Peut-être, mais ça fait dix ans bientôt. La violence ne vient pas du clan MAGA. Tout le monde croit que nous sommes des gars violents, mais pour la grande majorité d'entre nous, ce n'est pas le cas.
L'assaut du 6 janvier 2021, ce n'était donc pas des supporters de Trump, selon vous?
Pour la plupart, c'était des types habillés en noir, avec des cagoules. Si vous regardez bien, il y avait très peu de casquettes MAGA.
Il y avait tout de même des trumpistes…
Il y a des tarés partout, vous savez. On a voulu mettre le 6 janvier sur le dos de tous les trumpistes du pays. Je n'étais pas à Washington, je n'aurais jamais fait une telle chose et je suis contre toute idée de violence.
Si Trump venait un jour à être assassiné, dans quel état seriez-vous?
(Il prend une grande inspiration en cherchant ses mots) Je crois que je serais complètement abattu. Dévasté. Je ne sais pas ce que je ferais. Je n'arrive même à anticiper ce moment, c'est vous dire. Inimaginable.
Comment réagiraient ses supporters à travers le pays si Trump venait à mourir dans une attaque?
Oh... Je pense que ça n'aurait plus grand-chose à voir avec le mouvement MAGA.
Vous pensez que s'il arrivait une telle chose à Kamala Harris, le pays se retrouverait dans le même état?
Oui, je crois. Les tensions qu'il y a aujourd'hui dans ce pays... Je veux dire... C'est quand même terrible. Si un candidat meurt avant le 5, c'est une Troisième Guerre mondiale qu'il faudra redouter.
Votre candidat a déjà réchappé déjà deux fois à une tentative d'assassinat. Comment envisagez-vous ces neuf dernières semaines de campagne?
Il y aura encore des choses très sales, assurément.
A quoi pensez-vous?
Déjà, je pense qu'on va encore essayer d'éliminer Donald Trump. Mais je vois des risques beaucoup plus larges encore. Des cyberattaques, un black-out, voire une nouvelle pandémie. Des choses qui vont venir aussi de l'étranger, de la Chine, de la Russie, tout ça. Biden et les démocrates sont prêts à tout pour que Donald ne reprenne pas le pouvoir.
Trump affirme d'ailleurs que c'est la rhétorique violente des démocrates qui donne lieu à des incidents comme celui de dimanche, à West Palm Beach. Vous êtes d'accord avec ça?
Joe Biden n'est pas directement responsable de la tentative d'assassinat. Mais quand tu répètes chaque jour en public qu'il faut que Donald Trump disparaisse, des gens écoutent. C'est irresponsable, je trouve.
Vous êtes d'accord avec tout ce que Donald Trump fait ou dit? C'est ça, être un bon supporter?
Non, je n'aime pas tout de lui. Pas besoin.
Qu'est-ce que vous n'aimez pas chez lui?
Oh... comme ça, je ne sais pas.
Depuis combien de temps vous le soutenez?
Le tout début, en 2016. J'avais voté pour Obama en 2008 et 2012. Je ne suis pas spécialement républicain ni démocrate, vous savez. Je vote pour des gens, des personnalités. Et j'ai tout de suite pigé que Donald Trump était différent. Rien à voir avec les politicards de Washington DC et tout le sérail.
Et ça ne vous dérange pas qu'il soit milliardaire? Regardez, derrière nous, son manoir fortifié comme un bunker de luxe. Comment pouvez-vous être certain qu'il se soucie réellement des classes populaires?
Parce qu'il a bossé dur pour être là où il est. Il a grandi dans le Queens, il a fait grandir l’entreprise de son père. C’est un vrai promoteur, un vrai businessman, il a bâti sa propre fortune. D'autres n'ont jamais travaillé de leur vie, monté une entreprise, torché de fiches de paie.
Vous vivez dans le comté de Palm Beach, pas loin de Mar-a-Lago. Vous avez déjà pu rencontrer votre idole?
Ah, ah, non, pas personnellement! Mais avec les potes, ça fait longtemps qu'on le soutient ici, autour de Mar-a-Lago, avec nos drapeaux et tout. On voit souvent la colonne de voitures noires passer devant nous, notamment lorsqu'il devait faire de nombreux allers-retours à cause de la justice.
Et même pas une vitre qui se baisse de temps en temps pour vous saluer?
Oui, bien sûr! Ces deux dernières années, il lui est arrivé de freiner devant notre campement et de lever les pouces pour nous remercier d'être là. Parfois, des agents du Secret Service nous offraient des casquettes et des t-shirts. L'ambiance est toujours bonne.
Et Mar-a-Lago, vous connaissez?
Figurez-vous que oui! Il faut dire qu'on est souvent là, autour du manoir, à organiser des raouts, à se réunir pour lui témoigner notre soutien. Un pote qui a un bateau nous embarquait parfois pour frôler les rives de la propriété avec des drapeaux. Un jour, des gars de l'entourage de Trump sont venus vers nous et nous ont invités à visiter Mar-a-Lago, pour nous remercier d'être là.
Et ensuite? Petit tour du propriétaire escorté par le Secret Service, et puis s'en va?
On y a passé trois ou quatre heures, je crois. On a pu avoir accès à une sorte de buffet gigantesque avec tout ce qu’on peut imaginer, c'était une super expérience.
Vous n'avez même pas croisé Melania?
Ah, ah, non. On n'a pas croisé grand monde, juste le personnel de Mar-a-Lago et le Secret Service.
On sent que vous êtes très, très attaché à Donald Trump. C'est qui, pour vous? Un père?
C'est vraiment un héros, oui. Il a beau avoir de l'argent, des propriétés et tout, il nous comprend. Il est naturel, il pense ce qu'il dit, il dit ce qu'il pense, contrairement aux politiciens dont le speech est calibré. Prenez le débat de la semaine passée avec Kamala Harris, par exemple: tout ce qu'elle disait avait l'air d'être écrit à l'avance. Alors que lui, il était spontané. Les médias ont fait toute une histoire sur ces chats de Springfield. Ils n'ont pas compris que ça faisait partie d'un problème plus global.
Justement, vous en pensez quoi de cette fausse rumeur de migrants qui mangeraient des chiens et des chats?
C'est l'exacte vérité. Je n'ai rien contre les Haïtiens, je vous assure. S'ils viennent pour travailler en toute légalité, ça me va. Le gouvernement Biden ne fait rien pour les accueillir correctement. Je n'ai contre les migrants, je suis contre ce gouvernement qui ouvre grand les frontières, mais qui ne gère rien ensuite. Je sais que ce qui s'est passé à Springfield est la vérité.
Comment? Les autorités locales n'ont toujours pas de preuve de tels agissements...
Des gens y sont allés et ils ont témoigné, ils ont donné des interviews. Les Haïtiens à Springfield ne mangent pas les animaux parce qu'ils meurent de faim, hein. Ils reçoivent des coupons et des bons alimentaires. C'était pour un truc vaudou. Mais ça, les médias mainstream ne le disent pas.
Vous avez encore le temps de travailler avec tout ce que vous faites pour Donald Trump?
Ouais ouais, j'aide un pote dans son entreprise de construction. Attendez, je vais vous filer ma carte. Le boulot est cool et je peux organiser mon temps de travail, c'est pratique.
Qu'il soit élu ou pas, dans quatre ans, Donald Trump, c'est fini. Qui voyez-vous comme successeur? Le gouverneur de Floride et ancien rival, Ron DeSantis? Son fils Don Junior?
Ah, ah, Ron DeSantis, je l'aime bien, mais il a fait une sacrée connerie en se présentant contre Trump! Je ne sais pas ce qu’il avait en tête! Par contre, il fait un super boulot en tant que gouverneur. Il pourrait totalement se représenter en 2028. Je vois bien Vivek Ramaswamy, aussi. Pas tellement Don Junior, il n’a pas… ce truc. En revanche, pourquoi pas Barron Trump? Il a 18 ans, il est beau et il s’est présenté comme député ici, à Palm Beach. Ce gamin a de l’avenir, faites-moi confiance.
Sur cette prédiction, nous laissons Jestin vaquer à ses occupations. Quelques minutes après notre départ, une photographe de l'agence AP, qui attendait sagement la fin de notre conversation, profitera de l’immortaliser un peu moins officiellement. Lundi, il faisait 35 degrés à Palm Beach.