Tadej Pogacar n'a jamais porté le maillot arc-en-ciel. Sa meilleure performance aux Mondiaux? Une troisième place à Glasgow en 2023. Or à Zurich cette année, le Slovène peut améliorer ce résultat – les conditions étant réunies pour un exploit magistral. Une victoire et Pogacar réussirait la triple couronne, à savoir remporter le Giro, le Tour de France et les Championnats du monde la même année. Seuls Eddy Merckx et Stephen Roche peuvent s'enorgueillir d'une telle prouesse.
Mais revenons à ces conditions favorables. Si le natif de Klanec au nord de Ljubljana est annoncé comme grandissime favori en Suisse, c'est d'abord parce qu'il a admirablement préparé son rendez-vous. Il n'a pas participé aux Jeux olympiques cet été (sous-entendant que les Mondiaux avaient une plus grande importance) et a ainsi pu récupérer de son doublé Tour d'Italie-Tour de France particulièrement éprouvant.
Ce n'est qu'à la mi-septembre que Tadej Pogacar a retrouvé le chemin de la compétition. Une septième place au Grand Prix de Québec suivie deux jours plus tard d'une victoire au Grand Prix de Montréal. Là, le Slovène a une nouvelle fois marqué les esprits, repoussant son dauphin, Pello Bilbao, à près d'une demi-minute. Troisième, Julian Alaphilippe a quant à lui été relégué à 40 secondes, alors que le coureur de la formation UAE Team Emirates a pris le temps de célébrer son succès.
Pour les rares qui en doutaient encore: Tadej Pogacar est en pleine forme. Et il n'y a rien de surprenant à cela, car il perçoit le parcours des Championnats du monde de Zurich comme une réelle opportunité. C'est l'un des plus exigeants des dernières saisons – il lui offre une occasion rêvée de revêtir la tunique arc-en-ciel. «Je veux m’emparer du maillot de Mathieu van der Poel», avait-il déclaré l'an passé en marge du Critérium de Singapour, lorsque le tracé avait été dévoilé.
En Suisse, les coureurs se frotteront à un dénivelé de 4470 mètres, soit plus qu'à Glasgow, Wollongong et Louvain. Cela correspond en fait au profil de Liège-Bastogne-Liège, une course remportée par deux fois par le Slovène. Le Zürichbergstrasse, la montée de Witikon et les autres côtes et faux plats du circuit final serviront à n'en pas douter ses qualités de grimpeur-puncheur.
Tadej Pogacar pourra également compter sur la météo. L'été indien a fui la Suisse cette année et il fera au mieux 15 degrés dimanche à Zurich – des conditions idéales pour celui qui craint les grosses chaleurs. Le Slovène bénéficiera aussi de son aura. Lorsqu'il a attaqué à Montréal à 23 kilomètres de l'arrivée, le peloton a fait preuve d'une certaine résignation. Pogacar est trop fort et personne n'a cherché à prendre sa roue ou à revenir sur lui. Certains ayant abandonné plus tôt dans la course l'ont même salué à son passage sur la ligne. On court ainsi presque battu contre le leader de l'équipe UAE.
Or à Zurich, Tadej Pogacar aura face à lui des adversaires redoutables, qui n'ont pas pour habitude de rendre les armes. Il y a d'abord Remco Evenepeol, récent champion du monde du contre-la-montre pour la deuxième année consécutive. Il monte en puissance après les efforts fournis au Tour de Grande Bretagne et est en course pour un double doublé suite à ses deux titres olympiques. Le Belge a lui aussi remporté Liège-Bastogne-Liège à deux reprises et Pogacar en est conscient. Il estime d'ailleurs que Remco Evenepeol est le mieux armé sur les courses d'un jour.
Il y a aussi Mathieu van der Poel, champion du monde en titre. Il ne figurait pas initialement parmi les grands favoris, le tracé des Mondiaux étant trop montagneux pour lui. Or il a perdu du poids et a préparé cette course en bon spécialiste des classiques. Ce qu'il a réalisé au Tour du Luxembourg la semaine dernière est impressionnant. Le Néerlandais s'est montré à son aise lors de l'étape reine longue de 201 kilomètres. Elle comprenait un dénivelé de 3856 mètres, soit un avant-goût des Mondiaux. Il est également passé à l'offensive dans le Pabeierbierg, escaladé plusieurs fois lors de la cinquième et dernière étape, proposant elle aussi plus de 3000 mètres de dénivelé. Seul Mads Pedersen est parvenu à le suivre.
Tadej Pogacar devra aussi se méfier d'un Suisse: Marc Hirschi. Il a lancé au Luxembourg quelques attaques flamboyantes et restait auparavant sur cinq victoires consécutives, dont deux en World Tour. Le Bernois a retrouvé le niveau qu'il avait en 2020 lorsqu'il s'était imposé sur la Flèche wallonne. A l'époque, il avait terminé quatre jours plus tard deuxième de Liège-Bastogne-Liège et avait devancé au sprint le Slovène. Marc Hirschi est irrégulier. Or lorsque son pic de forme est atteint, il peut jouer les trouble-fêtes, encore plus à domicile.
«Pogi» et Hirschi sont équipiers au sein de la formation UAE Team Emirates. Ils seront adversaires ce dimanche et ne bénéficieront pas de la force de frappe de leur équipe, première au classement mondial. Si Tadej Pogacar aura avec lui de bons éléments (Domen Novak, Jan Tratnik, Luka Mezgec et Matej Govekar), il vient de perdre Matej Mohoric. D'autres collectifs comme celui de l'équipe de France – toujours placée dans les grands rendez-vous – semblent donc mieux armés. Les Bleus peuvent semer la zizanie et contrecarrer les plans de la Slovénie. Le vainqueur du Tour de France 2024 devra également composer avec un autre leader: Primoz Roglic, titré sur la Vuelta au début du mois.
Malgré le contexte qui lui est favorable, Tadej Pogacar n'a pas course gagnée à Zurich. Une épreuve d'un jour reste une épreuve d'un jour. Il n'est pas dit que le Slovène grimpe sur la plus haute marche du podium, dimanche sur la Sechslaütenplatz. Il y a donc encore du suspense, et c'est sans doute mieux ainsi.