Il faut savoir tout d'abord que la question est sensible. Les gens bien informés ne critiquent pas facilement Christian Constantin, encore moins de bon coeur, et presque jamais ouvertement. Parce qu'ils l'aiment bien et savent son attachement viscéral au FC Sion, «quoi qu'on en pense». Mais aussi parce que «CC donne du travail à beaucoup de gens. Tu vas à «sa» soirée choucroute et tu comprends tout de suite que le Valais lui mange dans la main. Qui voudrait d'un tel ennemi?»
Il faut pourtant bien chercher à comprendre pourquoi le FC Sion est aujourd'hui un club de seconde zone, pour ne pas dire de deuxième division (dernier du classement avec six points de retard sur Vaduz).
Les avis, encore, restent nuancés. «Constantin est à la fois le problème et la solution», titre le journaliste Daniel Visentini dans Le Matin Dimanche. «Les problèmes permettent à Christian de s'épanouir dans le rôle de celui qui apporte les solutions», corrige une relation de l'entrepreneur. Et d'ajouter: «Ne croyez pas que la situation le perturbe: Christian adore ça. Il a besoin de cette adrénaline. Les crises le placent au centre de l'attention, dans sa posture favorite d'homme fort. Je pense qu'il s'éclate à résoudre des problèmes, jusqu'à en créer lui-même.» Or des problèmes, ça tombe bien, le FC Sion en a plus qu'assez.
Son capitaine Kevin Finckentscher l'a reconnu dimanche avec une détresse saisissante, au terme d'une défaite non moins déroutante contre Vaduz (3-0):
Si les enfants sont gâtés, c'est que le père est forcément un peu gâteux. Les avis convergent: historiquement, le FC Sion pratique des salaires que ses concurrents estiment 30% supérieurs aux prix du marché. Un agent cite des remplaçants étrangers à plus de 40 000 francs par mois, installés en Valais depuis des années (ou le plus souvent sur la Riviera vaudoise) sans craindre de s'y embourgeoiser, dans l'attente de devenir «le nouveau Zico» ou «le futur Pirlo», selon les spéculations du président.
Constantin lui-même nous disait la difficulté de sensibiliser un footballeur aux exigences du haut niveau, notamment pendant le confinement où la préparation physique était gérée à distance, avec un logiciel de tracking.
Une anecdote? Les données GPS d'un joueur indiquaient des pointes de vitesse anormalement élevées, insensibles à la répétition des efforts. A la reprise de l'entraînement collectif, le même joueur courait nettement moins vite et moins longtemps. Il a fini par avouer que pendant ses sorties, il accrochait le GPS à son chien, auquel il lançait un bâton pour le faire sprinter.
Techniciens, agents et journalistes sont pourtant nombreux à penser que dans un environnement ambitieux, avec un minimum de confiance et de cohérence, l'effectif actuel pourrait postuler à un destin européen.
Mais d'une instabilité permanente, le club a basculé dans une culture du chaos, dont chacun tire profit à sa manière. Les anciens décrivent un biotope familial où «l'on ne parle jamais de politique sportive et de projet de jeu», où «l'on recrute à partir de listes et de lubies», où «les visions d'avenir ne dépassent pas la semaine d'après».
La théorie du chaos revient de plus belle chez cette relation du président: «CC n'est pas intéressé par la stratégie. Il n'est jamais aussi à l'aise que dans l'urgence, face aux difficultés. Voyez comme il a coaché l'équipe au pied levé à Lausanne: il était dans son élément. En plus, il a été très bon.»
Même ses suppôts les plus fidèles persistent à penser qu'il n'a jamais pardonné à Peter Zeidler, désormais entraîneur à St-Gall, d'avoir apporté autant de bonheur et de sérénité au FC Sion, et d'avoir aggravé son cas en alignant les victoires - «c'était trop calme pour Christian, qui n'avait plus personne à virer ni d'interviews à donner». De sources concordantes, Marco Walker est également menacé. Pire: il l'était déjà... avant même le déplacement de dimanche à Vaduz, deux semaines après sa prise de fonction.
Les joueurs savent trop bien la condition précaire de leurs entraîneurs, dont ils ne respectent l'autorité (s'il en est) qu'au gré de leurs humeurs ou intérêts inavouables. Ils savent tous les cinquante têtes que le patron a déjà coupées. Ils savent qui décide, qui paie. Ils savent qu'à chaque instant, un hélicoptère ou une Ferrari peut surgir d'un halo de kérosène, comme Crésus redescend parmi les siens, pour donner l'absolution ou la sanction.
Avec ses entraîneurs, et quand bien même il leur porterait une affection sincère, le président désavoue en public, impose des changements (tactiques ou de joueur) en plein match, accorde des congés en douce. Aujourd'hui, aucun entraîneur plus ou moins côté ne compromet son avenir au FC Sion. On y vient pour lancer ou relancer une carrière, par naïveté ou par désespoir, éventuellement par amitié ou charité.
Plus récemment, d'autres techniciens ont décliné le poste en découvrant qu'ils travailleraient au quotidien avec Barthélémy Constantin, le fils prodigue, une étiquette lourde (directeur sportif) sur un bagage léger; un vernis d'honorabilité sur des jeans délavés. Après un entretien d'une heure, un coach étranger est ressorti convaincu «de n'avoir jamais entendu autant de lieux communs sur le football en si peu de temps, avec l'aplomb du mec qui se prend pour Monchi (ndlr: le directeur sportif du FC Séville).»
Même maintien, même accent, même sens de la formule (quoiqu'avec des disparités dans le talent comique): la ressemblance père-fils se double chez «Barth» Constantin d'un mimétisme troublant. Et l'aplomb en héritage, fatalement. Sans négliger le sens du raccourci, tout naturellement.
Après avoir licencié leur personnel administratif au motif du Covid, «les Constantin font ce qu'ils veulent» et ont «encore moins l'intention de s'encombrer d'une cellule de recrutement». Ils s'adonnent librement, seuls, à leur passion première: les coups. Peu importe que ces coups soient médiatiques (engagements de Gattuso, Hoarau, etc) ou financiers (joueurs à potentiel de plus-value).
Au-delà du plaisir qu'il éprouve à parler de football avec des recrues respectables (Behrami, Djourou), Christian Constantin est de moins en moins heureux dans ses opérations de trading. Son dernier coup remonte à juin 2018 avec le transfert de Matheus Cunha au RB Leibzig, pour un montant officieux de 17 millions d'euros.
L'obsession du jackpot et l'attrait du prestige conduisent le FC Sion à empiler des joueurs dans ses deux effectifs professionnels. L'été dernier, Constantin s'est mis en tête de «faire» Cavani (qui lui a préféré Manchester United) et Welbeck (Brighton), comme autrefois il a tenté sa chance avec Balotelli et Del Piero, comme jadis il a signé Vercruysse, Moravcik. Monterrubio ou Hilton.
Là où d'autres auraient peur du ridicule, CC fonce dans le tas. Il n'invente rien: alors que nous l'avions croisé par hasard dans les couloirs de l'Open d'Australie, Alessandro del Piero avait confirmé les offres du FC Sion. «M. Constantin m'appelle encore toutes les deux semaines. C'est un personnage spécial, avec une grande passion pour le football».
Car, oui, avant d'être la figure patriarcale du FC Sion, Christian Constantin reste un enfant de la balle, ancien gardien de LNA et grand observateur de la chose footballistique. Il a beau prétendre que le FC Sion est à vendre, il en a même fixé le prix à 85 millions de francs, personne n'y croit.
Selon ses proches, «il ne lâchera pas l'affaire, même en Challenge league». Parce qu'il est «accroc au football, qu'il suit tout et connaît tout». Parce qu'il n'a «jamais eu de réticence à avancer seul contre tous». Parce qu'il «a besoin de cette adrénaline dans la vie». Parce qu'il «aime trop passer à la télé» et que «cette notoriété est bonne pour les affaires». Parce que «le foot lui permet d'exercer un pouvoir, une fascination, une emprise sur les gens, comme aucune autre activité économique».
Sans doute faut-il chercher ici, dans ce mélange de pulsions irrationnelles, le mystère perpétuel des motivations présidentielles, à tout entreprendre pour que l’équipe soit forte et, dans la même action, à entraver toute velléité de projet et d’évolution dans le temps, d’une façon ou d’une autre (mais d’une seule).
Christian Constantin connaît trop bien le football pour croire qu’une succession d’opérations commandos conduira à un succès durable. Cette culture du chaos ne peut lui apporter que des problèmes et du buzz. Mais c'est bien l'essentiel, peut-être.