Il aurait presque pu passer inaperçu au milieu de tout ce rouge des fans suisses ce dimanche à Francfort, mais les trois grandes lettres jaunes – UCK – et l'aigle noir bicéphale qu'il arbore l'ont démasqué. Oui, c'est bel et bien un drapeau de l'Armée de libération du Kosovo (Ushtria Çlirimtare e Kosovës, en albanais, dont les initiales sont UCK) qui était déployé au beau milieu des supporters de la Nati lors du match contre l'Allemagne (1-1).
Il n'a pas fallu longtemps pour qu'une polémique éclate autour de la présence de ce drapeau dans le stade. Plusieurs internautes s'en sont offusqués sur les réseaux sociaux, tout comme le média serbe Kurir, qui parle de «scandale», de «provocations honteuses» et interpelle l'UEFA en lui demandant, sarcastiquement, «si le drapeau d'une organisation terroriste a sa place dans le stade».
Non, l'UCK n'est de loin pas un simple groupe d'ultras de football qui aurait posé sa bâche au milieu de celles des autres fans. Il s'agit de l'organisation paramilitaire créée par des Albanais du Kosovo dans les années 1990, qui a mené une lutte armée contre la Serbie pour l'indépendance de ce territoire – à majorité ethnique albanaise – appartenant alors à Belgrade.
On lui reproche par exemple d'avoir monté un trafic d'organes extraits de prisonniers serbes. Plusieurs de ses dirigeants ont été jugés au Tribunal spécial de la Haye, dont Salih Mustafa en 2022, condamné à 26 ans d'emprisonnement pour meurtre, torture et détention arbitraire.
L'affaire de Francfort en rappelle une précédente qui a également concerné la Nati. En octobre 2021, après un Suisse-Irlande du Nord au Stade de Genève, un intrus s'invitait sur la pelouse après le match et passait une veste avec le logo de l'UCK sur les épaules de Xherdan Shaqiri, en pleine interview en direct à la TV. La star de l'équipe de Suisse (d'origine kosovare), gênée, avait eu le réflexe de retirer rapidement le vêtement et de rester très neutre dans son interaction avec l'individu. Le soir même, l'Association suisse de football (ASF) condamnait l'action dans un communiqué:
A n'en pas douter, les dirigeants de l'ASF n'auront pas non plus beaucoup goûté au drapeau de l'UCK dimanche à Francfort.
A la Coupe du monde 2022, le capitaine de la Nati Granit Xhaka, lui aussi d'origine kosovare, avait déclenché une polémique après la victoire contre la Serbie (3-2): il avait porté le maillot de son coéquipier Ardon Jashari à l'envers, avec le nom bien mis en évidence sur la poitrine. Même si Xhaka n'a jamais confirmé, beaucoup y ont vu un hommage à Adem Jashari, chef de l'UCK tué par les forces serbes en 1998.
Reste une question: comment un étendard faisant l'éloge d'un groupe paramilitaire peut-il si facilement passer la fouille et rester accroché plus d'une heure et demie à la vue de tous dans un stade de l'Euro?
C'est d'autant plus étonnant que les vigiles employés par l'UEFA sont plutôt attentifs aux messages sur les drapeaux des fans: à l'Euro 2016 en France, des supporters vaudois de la Nati n'avaient pas pu faire entrer leur drapeau cantonal dans le Parc des Princes lors de Suisse-Roumanie. Et pour cause: la sécurité – qui avait apparemment quelques lacunes en géographie suisse – craignait, avec l'inscription «liberté et patrie», que le «drapeau véhicule d'autres messages que celui de supporter une équipe», expliquait 24 Heures.
Le drapeau de l'UCK n'est pas la première polémique autour du Kosovo, de l'Albanie et de la Serbie durant cet Euro. Plusieurs fans et joueurs des deux camps – d'un côté les Kosovars et Albanais, de l'autre les Serbes – ont instrumentalisé le tournoi en faisant passer des messages politiques haineux. Il y a par exemple eu l'attaquant albanais Mirlind Daku, filmé après le match contre la Croatie mercredi en train de chanter dans un mégaphone des chants insultants envers la Macédoine du Nord. Il a été suspendu par l'UEFA pour les deux prochains matchs.
L'instance européenne a également infligé 25'000 euros d'amende à la fédération albanaise pour cet acte. Pendant ce même match, des supporters albanais et croates ont été entendus en train de scander les paroles suivantes: «Tuez, tuez, tuez les Serbes!» Suite à quoi la fédération serbe a menacé de quitter le tournoi si l'UEFA ne sanctionnait pas ses homologues albanaise et croate.
Lors de la rencontre Angleterre-Serbie, un journaliste kosovar a provoqué les fans serbes dans le stade en mimant devant eux, avec ses mains, l'aigle bicéphale albanais. Son accréditation lui a été retirée.
Mais la Serbie n'est pas en reste. Sa fédération a écopé de 14'500 euros d'amende par l'UEFA à cause de comportements déplacés de ses fans à l'Euro. Parmi eux: l'affichage de drapeaux nationalistes – dont celui d'un groupe paramilitaire – et des chants racistes contre le Kosovo. «Le Kosovo est le cœur de la Serbie», ont par exemple entonné des supporters des rouge et blanc sur la Marienplatz de Munich. D'autres ont brûlé un drapeau albanais dans les rues de Gelsenkirchen.
Pour rappel, la Serbie ne reconnaît pas l'indépendance du Kosovo, que ce dernier a auto-proclamée en 2008. La majorité des pays occidentaux (dont la Suisse et les Etats-Unis) la reconnaissent, mais ce n'est pas le cas de l'Espagne, de la Russie ou de la Chine, par exemple.
Il ne reste plus qu'à espérer que les tensions géopolitiques, observées dans les tribunes des stades de l'Euro, ne ternissent pas le spectacle sur le terrain pour la suite du tournoi.