«On courait pour notre vie»: Henchoz raconte son miracle
Le FC Aarau a perdu 4-0 le match aller de son barrage contre GC, mardi. Ce vendredi (20h30), lors du match retour à domicile, il fera tout pour inverser ce résultat.
Cette situation ravive un souvenir très douloureux aux Argoviens: en 2019, alors deuxième de Challenge League, ils avaient perdu le barrage contre Neuchâtel Xamax (avant-dernier de Super League) aux tirs au but, après avoir gagné 4-0 le match aller à l'extérieur... Le score était identique au retour au Brügglifeld, mais pour les visiteurs. Aujourd'hui, le FC Aarau veut faire du drame qu'il a vécu une force, en s'appuyant dessus pour se convaincre que tout est possible.
Stéphane Henchoz, alors entraîneur de Xamax (et désormais directeur sportif du Lausanne-Sport), nous raconte comment ses joueurs et lui ont réalisé l'un des plus grands exploits de l'histoire du foot suisse et sauvé ainsi leur place en Super League.
«J’ai participé à deux Euros avec la Suisse, j’ai remporté la Coupe de l’UEFA avec Liverpool, mais les émotions de ces jours de barrage surpassent tout. Regardez, j’en ai la chair de poule rien qu’en y repensant», s'émeut le Fribourgeois.
Il se replonge dans cet incroyable souvenir:
Après cela, je suis allé dans mon bureau, je ne voulais plus voir aucun joueur. C’était la première fois depuis que j’étais à Xamax que mon équipe n’avait pas tout donné. Certains avaient déjà la tête en vacances ou dans leur futur club – le sort de Xamax ne les intéressait pas ce jour-là.»
Un petit groupe de joueurs, autour du capitaine Raphaël Nuzzolo – expulsé pour avoir prétendument craché sur l’arbitre –, reste encore longtemps à la Maladière. Dans leurs têtes, une seule pensée tourne en boucle:
Somnifères, survie et zéro tactique
Henchoz ne monte dans sa voiture que bien après minuit, bouleversé et totalement éveillé. Il ne parvient à dormir qu’avec l’aide de somnifères:
Je n’ai dit que quelques mots à l’équipe – à peu près ceci: "Il reste un match, deux jours, et vous serez débarrassés de moi et de Xamax! Même si nous devons quitter la Super League à Aarau, faisons-le avec fierté. Tous ceux parmi vous qui ne sont plus prêts à ça peuvent rendre leurs affaires maintenant et partir en vacances. Je comprendrai chacun qui ne veut plus. Mais ceux qui monteront samedi dans le bus pour Aarau, j’attends d’eux qu’ils soient prêts à mourir les armes à la main. Je n’ai jamais fui un adversaire, je l’ai toujours regardé droit dans les yeux, aussi puissant soit-il – et j’attends la même chose de vous!"»
Samedi, tous les joueurs de Xamax sont dans le bus. «Je ne m’y attendais pas», confie Henchoz. Avant le départ pour Aarau, il montre à l’équipe un film de sept minutes: des images de la demi-finale de Ligue des champions entre Liverpool et Barcelone, quelques semaines auparavant. Les Anglais y avaient renversé un 0-3 du match aller par une victoire 4-0 au retour.
Le tout accompagné d’une musique grandiloquente et de cette phrase:
L’ambiance à l’hôtel, selon Henchoz, est détendue. Le soir, tout le monde regarde la finale de Ligue des champions entre Liverpool et Tottenham, sans couvre-feu imposé. Le matin du match, le coach fait quelque chose qu’il n’a jamais fait auparavant:
Au mur était affichée une feuille avec les noms des titulaires – j’ai effectué cinq changements par rapport à l’aller et n’ai aligné que des joueurs dont je savais qu’ils joueraient avec le cœur. Peu importait qu’ils soient à leur poste préféré. Charles Pickel, par exemple, jouait pour la première fois de sa carrière comme ailier.
Les quelques centaines de supporters ayant fait le déplacement à Aarau le ressentent et soutiennent l’équipe dès la première seconde, malgré la situation désespérée. Que le secteur visiteurs du Brügglifeld soit resté à moitié vide n’étonne pas Henchoz:
Détour par le centre-ville et énormes émotions
À la 20e minute, Xamax ouvre le score: but de Geoffroy Serey Dié. «C’est à ce moment-là que la croyance dans le retournement est revenue», témoigne le technicien. Dès lors, il arpente nerveusement la ligne de touche, harangue ses joueurs et voit comment, à chaque but supplémentaire, la confiance quitte les corps des Argoviens:
Certains joueurs d’Aarau pensaient peut-être déjà à sabrer le champagne. Qu’on ne me comprenne pas mal: à leur place, j’aurais pensé pareil. Après un 4-0 à l’aller, c’est humain. Mais dès le début, j’ai senti que les joueurs d’Aarau jouaient avec la peur de tout perdre. C’était l’inverse chez nous – mes gars couraient pour leur vie.»
Peu avant 19h00, le miracle devient réalité: Xamax se maintient en Super League, Aarau sombre dans les larmes. Henchoz, lui, explose de joie, enlace tout ce qui bouge.
«Je ne savais plus quoi faire de mes émotions, je ne savais pas si je devais pleurer ou rire. C’était si intense, presque insupportable, tout simplement incroyable». Ce n’est que sur la route du retour vers Neuchâtel que Stéphane Henchoz trouve enfin un peu de calme et commence à réfléchir à ce qui s’est passé ce 2 juin:
Le stade du Brügglifeld restera pour toujours un lieu à part dans ma vie – cette journée fut une leçon de football. Non, plus encore: une leçon de vie.»
Reste à savoir si le FC Aarau a, lui aussi, tiré leçon de cette incroyable histoire. S'il parvient à renverser son barrage face à GC ce vendredi soir et retrouver la Super League dix ans après l'avoir quittée, on saura que la réponse était oui.
Adaptation en français: Yoann Graber