On lui parle de Diakhaby, Rashford et Sterling, mais ces affaires qui affluent de l'Europe entière lui semblent totalement étrangères. Alors on explore son passé à lui, cinquante ans plus tôt, pour remonter aux origines du racisme dans le football.
Quand il plonge dans ses souvenirs, Daby Samba a bien quelques frissons au début: «A mon arrivée en Europe, c’était très difficile. Ça jouait dur.» On aurait pu imaginer plus douloureux, pour le premier Africain du football suisse, qu’un tacle déplacé. C’est là que cette plongée dans les années septante devient étonnante...
«Il n’y avait pas tout ça, le racisme, les insultes, les jets de banane, assure Daby Samba. Que ce soit dans le public ou dans le vestiaire, je n’ai jamais entendu la moindre remarque.»
L’attaquant sénégalais ne cache pas sa surprise: «Oui, je suis le premier footballeur de couleur à avoir joué en Suisse, et peut-être que des gens me regardaient un peu bizarrement, mais j’ai reçu un accueil magnifique. Parfois, je me disais: «Mais ce n’est pas possible! On va bien finir par me traiter de quelque chose.» Ce n’est jamais arrivé. Avec tout ce qui se passe aujourd'hui, je comprends que mon témoignage étonne, mais c'était comme ça.»
«Les gens venaient plutôt vers moi pour discuter ou boire une bière», insiste encore Daby Samba. Etait-ce sa personnalité solaire? Son privilège de buteur? «J’étais fort. C’est clair que ça aide à se faire accepter. Et puis, j’avais beaucoup de copains, qui le sont restés toutes ces années. Forcément qu’à nos âges, on est toujours moins nombreux, mais on continue à aller boire une bière ensemble.»
De toute sa carrière, Daby Samba n’a eu qu’un seul problème, peut-être en raison d’une certaine naïveté ou, à tout le moins, d’un manque de roublardise. Un problème très contemporain: son salaire.
«Quand j’avais 25 ans (1967), un entraîneur français qui travaillait au Sénégal m’a convaincu de rejoindre Thonon. De là, je suis parti à Urania Genève Sport (UGS), qui a promis que si je venais, je recevrais un salaire. Après le premier match, je suis allé voir les dirigeants pour leur dire: «Ok, maintenant que je suis là, parlons de ce salaire.» Ils ont répondu: «Tu as très bien joué mais si tu ne fais pas mieux, on ne pourra malheureusement pas te payer.» J’ai finalement touché 150 francs par mois.» Daby Samba éclate de rire, peu rancunier: «Mes copains à Servette touchaient trois fois plus.»
En ce temps-là, Genève était surreprésenté en LNA, avec Carouge, Servette et UGS. «Carouge avait d’excellents joueurs mais aucun d’eux n’a jamais voulu aller à Servette. C’était exclu, impensable. Pourquoi? J'aimerais bien le savoir, moi aussi…»
Le racisme n’était ici que chauvinisme, une stupide querelle de quartiers, et les agents n’existaient pas encore. Etait-ce pour autant un monde meilleur?
«Malheureusement, l’histoire a mal fini car j’ai eu des offres, de grosses offres, et UGS ne m’a jamais laissé partir. A l’époque, si on signait un contrat avec un club, on était quasiment liés à vie. J’ai reçu des propositions de Sion, de Zurich, et aussi de Lyon qui cherchait un remplaçant à Jean Tigana. Mais UGS a dit non à tout. Du coup, j’ai décidé d'arrêter le foot.»
Daby Samba n’a jamais quitté la Suisse. Dix-huit mois après, tandis qu’il travaillait à l'entretien aux Bains des Pâquis, il a reçu un nouvel appel de Zurich. «L’entraîneur m’a dit: «Mais tu étais où? On te cherche partout depuis des mois! On veut que tu viennes chez nous.» Je sais que sans ces problèmes avec UGS, j’aurais pu avoir une autre carrière, mais je ne regrette rien. J’ai eu beaucoup de chance.»
Ceux d’hier n'étaient pas meilleurs, à en croire cette anecdote savoureuse de Daby Samba: «J’étais proche de Peter Pazmandy. J’ai failli devenir son assistant lorsqu'il a entraîné le grand Servette. Peter était très gentil mais il n’osait pas parler avec les jeunes, qui l’amorçaient beaucoup. Il aurait voulu que je facilite le contact.»
Daby Samba se souvient que les gens les «reconnaissaient dans la rue», qu’il «y avait des photos de nous dans les bistrots». Récemment encore, tandis qu’il rendait visite à son épouse à l’hôpital, «un père alité a dit à son fils: «Regarde, c’est Samy qui est assis là-bas.» Ils venaient me voir jouer quand le petit avait 6 ans. Je vous le dis, je n’ai reçu que du respect et de la gentillesse.»
Au fil de la discussion, les souvenirs remontent un à un, et Daby Samba s'y plonge sans réserve. Les problèmes de Diakhaby, Rashford ou Sterling semblent appartenir à un autre monde - un monde qu'il n'a pas connu.