Lara Gut-Behrami est championne olympique. En remportant la médaille d'or du super-G à Pékin, elle s'est adjugé le dernier titre majeur qui manquait à sa collection. Celui qui fait d'elle une légende du ski alpin et du sport suisse.
Ce panthéon n'est ouvert qu'aux athlètes d'exception et Lara Gut-Behrami en fait partie. Dans tous les sens du terme. Il y a d'abord, bien sûr, son incroyable palmarès: lauréate du grand globe de cristal, championne du monde et olympique, donc, depuis ce vendredi. Mais derrière un tel CV se cache aussi, forcément, une personnalité hors du commun.
Hormis son talent, la première chose qui vient en tête quand on pense à Lara Gut-Behrami, c'est son caractère. Oui, la «bombe de Comano» est explosive. Elle l'a prouvé à plusieurs reprises durant sa carrière. L'année passée, elle se frittait par médias interposés avec Marius Robyr, le boss des épreuves de Coupe du monde de Crans-Montana. La raison? La Tessinoise avait, selon elle, été la seule à dire tout haut ce que toutes les autres skieuses pensaient. «Franchement, c’est un désastre. Il n’y a rien d’autre à dire. J’espère qu’ils vont réussir à améliorer les choses avant les courses», déplorait-elle en parlant de la piste. Vexé, Robyr décidait de couper la sono et le caquet du speaker pendant l'entraînement de sa détracteuse. La suite? Gut-Behrami remportait le super-G dans la station valaisanne, en écrasant la concurrence.
Moins classe, elle était prise en flagrant délit par une caméra un mois plus tard aux championnats du monde de Cortina en train, vraisemblablement, d'insulter le patron valaisan en parlant à un proche au téléphone. Avant de récolter... trois médailles, dont deux d'or.
La nouvelle championne olympique a la rancune tenace, mais elle a surtout cette capacité à rebondir et se sublimer quand elle se sent défiée ou au fond du bac. Cette fierté propre aux champions, qui veut faire taire les mauvaises langues et qui les pousse à se prouver à eux-mêmes qu'ils font toujours partie des meilleurs.
Comme de nombreux sportifs d'élite, Lara Gut-Behrami a déjà pensé tout arrêter. Elle l'expliquait au Temps en septembre dernier, au moment d'évoquer la pression des médias et de quelques personnes de son entourage par rapport à son manque de résultats entre 2017 et 2020:
Mais la Tessinoise s'est accrochée et est revenue encore plus forte. A chaque fois. En septembre 2009, au début de sa carrière, elle se disloquait une hanche lors d'un entraînement et ratait toute la saison, y compris les JO de Vancouver. Rebelote en 2017, quand elle se blesse gravement au genou lors des Mondiaux de Saint-Moritz. Dans sa biographie sur son site web, elle insiste sur ce moment. La native de Lugano en parle, par exemple, quand elle justifie sa satisfaction de son année 2018, pourtant vierge de médailles olympiques: «Je pense encore que c'était une grande saison parce qu'en mars 2017, je n'étais même plus capable de marcher et la saison suivante, j'étais de nouveau sur la première marche d'un podium».
Son accident dans les Grisons marque un immense tournant dans la carrière et la vie de Lara Gut-Behrami. C'est dès ce moment qu'elle a changé radicalement sa manière de voir et vivre le ski. Finie, la focalisation sur les seuls résultats. La Tessinoise veut désormais, avant tout, se faire plaisir sur les lattes et pouvoir être fière de tout ce qu'elle fait pour être la meilleure version d'elle-même. Grosse perf' ou pas. «C’est une erreur pour l’athlète de croire que ce sont ses résultats qui le définissent», tranchait-elle dans le Temps. «C’est faux. La légitimité vient du travail quotidien, des sacrifices, de la persévérance. Sinon quoi? Les skieuses qui n’ont pas de succès ne valent rien? (...) Il faut apprécier le chemin parcouru.»
Elle philosophait de la même façon lors du TJ de la Radio télévision suisse (RTS), juste après son titre en super-G aux Mondiaux de Cortina, laissant pantois les téléspectateurs et le présentateur, Philippe Revaz. A la question de ce dernier, qui était de savoir si sa médaille était très importante pour elle, la championne, glaciale, répondait:
S'il peut déconcerter ses fans et les journalistes par son caractère inhabituel (ou en tout cas inhabituellement avoué avec autant de franchise), cet état d'esprit a le mérite d'aider Lara Gut-Behrami à se défaire de la pression et à encore mieux skier.
C'est dans le même but qu'elle a supprimé ses comptes Instagram et Twitter en automne 2018, sur lesquels elle était pourtant très active avant. «Lara a décidé elle-même de fermer ses comptes pour mettre la priorité sur la famille et le sport, elle ne veut plus perdre de temps sur les médias sociaux», justifiait Giulia Candiago, sa conseillère, au Tages-Anzeiger. Un choix qui tranche avec les autres stars du sport, très promptes à exhiber leurs vies privées et leurs corps de rêve sur ces plateformes, notamment pour de la pub. La Tessinoise, elle, n'a que Facebook, où elle poste très peu.
Toujours dans l'idée d'être la meilleure possible, qui reste son obsession malgré son aversion des questions sur ses résultats, la femme de Valon Behrami – ancien international suisse de football qu'elle a marié en 2018 – travaille avec une équipe privée. Elle gère une véritable petite PME, dont font partie son entraîneur de papa, un préparateur physique ou encore un responsable de communication. Dans ses plus grandes réussites, la skieuse évoquait la création de ces emplois autour d'elle.
Reste à savoir jusqu'à quand ils perdureront. Après son sacre vendredi, le consultant de la RTS, Patrice Morisod, émettait l'hypothèse (ou plutôt la crainte pour les amateurs de ski) de voir la championne ranger ses lattes.
Finir pareillement, sur un tel coup d'éclat, voilà qui rendrait Lara Gut-Behrami encore plus spéciale, là où pléthore de dieux du sport n'arrivent pas à décrocher.