Il s'est envolé sur le passage de Cry d'Er, presque en apesanteur, avant de reprendre sa course sur un appui pied droit sans se désunir.
Cette envolée a démontré qu'il fallait avoir un gros cœur et une bonne dose de courage en bandoulière pour skier à plus de 120 kilomètres à l'heure sur la Nationale de Crans-Montana.
Matthieu Bailet, 28e de la descente et 32e du super-G à Crans-Montana, traverse un exercice 2024/2025 difficile. Croisé dans la zone réservée à la presse, juste après le premier entraînement, le sympathique descendeur français nous parle de la peur, des copains à l'infirmerie et de la densité.
Comment se porte Matthieu Bailet durant cette saison 2024/2025?
C'est une saison un peu particulière, je dirais même unique pour moi. C'est la plus dure de ma carrière. Dans le sens où tout va bien, mais je ne suis pas là où je voudrais être. Il y a plein de raisons à cela. On en a discuté avec le staff, en préparation mentale. Je rate 2-3 gros coups en début de saison, alors que je skiais très bien. Et en plus de ça, on perd beaucoup de collègues sur des chutes.
Cela pèse sur le moral de voir ses collègues blessés?
Oui, bien sûr. Après, est-ce que ça nous tétanise? Pas du tout. Surtout quand on a connu des trucs bien pires.
Vous avez vous-même connu de grosses chutes?
Oui, j'ai vécu de grosses boîtes dans ma carrière. Pis, j'ai connu d'autres accidents autour de moi, bien pires qu'une chute à ski.
Aujourd'hui, ont peut dire qu'il vous manque simplement de la confiance?
Quand on passe à côté d'une course, deux courses, trois courses, ça commence à ronger la confiance. A Bormio, j'arrive en forme et la veille des deux courses, je suis victime d'une intoxication alimentaire. Et on peut voir la densité qu'il y a en descente, tout le monde bombarde.
Selon vous, la densité des descendeurs est plus forte qu'avant?
Je ne vais pas m'amuser à comparer avec les années précédentes. Mais la densité, oui, est énorme aujourd'hui. Avec une demi-seconde de plus ou de moins, ta course peut radicalement changer.
Cette demi-seconde qui manque parfois, cette densité, cela peut décourager quand ça ne tourne pas comme on veut.
Non, c'est génial. Plus il y a de densité, plus il y a du spectacle. Nous, les athlètes, on se pousse dans le bon sens. C'est ça le sport de haut niveau.
Ryan Cochran-Siegle nous disait qu'il aimait l'adrénaline à Bormio, qu'il avait l'impression de jouer avec sa vie. Ressentez-vous une forme de peur en poussant le portillon?
Il y a toujours eu de la peur, depuis mon premier jour en descente. A Crans-Montana, sur la Nationale, je ne ressens pas de peur.
Vous ne mettez jamais la peur de côté?
Je ne la mets pas de côté. Vraiment pas. On fait de la descente parce qu'on a peur.
Je suis arrivé sur le circuit de Coupe du monde en performant sur les descentes les plus risquées. Je m'épanouis avec cette adrénaline, en jouant avec la limite; quand t'es à deux doigts de te mettre une boîte, quand tu dois engager alors que c'est le passage le plus dangereux. C'est pour ça que je me suis mis des cartons, ça fait partie du jeu.
Un descendeur doit composer avec la peur, en vous entendant.
A 200%. Mais chacun gère à sa manière. Certains vont l'évincer, l'oublier, la recouvrir, l'embrasser, s'en nourrir, il n'y a pas une méthode meilleure que l'autre. On est obligé de s'en servir.
On s'avoue sa peur entre collègues?
C'est possible qu'on en parle. On parle plutôt de stress, mais ça reste très personnel.