Le journal autrichien Kronen Zeitung était très confiant avec les Mondiaux de Saalbach (4 au 16 février). Avant même la première course, il titrait, en une:
A côté, on pouvait voir les portraits des 11 femmes et 13 hommes de l'équipe autrichienne, apparemment tous susceptibles de remporter une médaille d'or.
La Kronen Zeitung a fait preuve de beaucoup d'imagination: les Autrichiens n'ont pas autant de prétendants à la victoire. Après 46 courses de Coupe du monde cette saison, nos voisins n'en sont qu'à deux victoires. Un chiffre très loin des ambitions. Le bilan est encore plus désagréable si on le compare à celui de la Suisse: les Helvètes sont montés 14 fois sur la plus haute marche du podium cet hiver.
Contrairement à la Kronen Zeitung, Marko Pfeifer, l'entraîneur en chef des hommes autrichiens, maintient les attentes à un niveau homéopathique:
La délégation suisse ne s'est pas rendue à Saalbach avec un objectif de médailles. Mais une chose est sûre: personne chez Swiss-Ski ne se satisfera d'une ou deux breloques chez les hommes.
La rivalité entre les deux grandes puissances du ski alpin est vraiment apparue dans les années 1970. C'était l'époque où les enseignants terminaient les cours plus tôt à midi pour que les élèves soient rentrés à temps lorsque Russi et Collombin dévalaient les pistes. En 1972, l'Uranais et le Valaisan ont fêté le doublé lors de la descente des Championnats du monde de Sapporo.
Deux ans plus tard, tout devait devenir encore plus grandiose à domicile. Les attentes pour les Mondiaux de 1974 à St-Moritz étaient énormes. Mais rien se s'est passé comme prévu: Collombin a été éliminé lors de la descente, tandis que Russi a dû se contenter de la 13e place. Ce dernier a joué de malchance, ses deux paires de skis s'étant cassées avant la course.
Des années plus tard, il pestait encore que le parcours était «beaucoup trop ennuyeux» et «beaucoup trop plat». Un tracé qui a toutefois parfaitement convenu aux Autrichiens, qui ont réalisé le doublé grâce à David Zwilling et Franz Klammer.
C'est simple: à Saint-Moritz, nos voisins étaient déchaînés: ils ont remporté huit médailles, ne laissant que des miettes aux Helvètes. Mais la célèbre station grisonne a paradoxalement tiré un avantage de cette débâcle suisse (ou plutôt du succès des visiteurs). C'est le futur président de la FIS, Gian-Franco Kasper, alors responsable du tourisme en Engadine, qui a résumé le mieux cette situation:
Que les Suisses se retrouvent derrière les Autrichiens au tableau des médailles lors des Mondiaux est la règle, et non l'exception. La comparaison entre les deux nations est sans équivoque: l'Autriche est en tête avec un total de 309 médailles (101 or, 107 argent, 101 bronze). La Suisse suit à la deuxième place avec 211 médailles (72 or, 73 argent, 66 bronze).
Depuis 1970, l'Autriche a remporté plus de breloques que la Suisse lors de quinze éditions. Les Helvètes ont seulement pris le dessus à neuf reprises. Il y a deux ans, à Courchevel/Méribel, les deux nations ont fini à égalité en obtenant chacune sept médailles.
Pirmin Zurbriggen, l'icône nationale, a marqué cette époque. En 1985, le Valaisan a remporté la descente de la Streif à Kitzbühel, mais s'est blessé au genou deux semaines seulement avant les Championnats du monde de Bormio. Les caméras de télévision l'ont accompagné jusque dans sa chambre d'hôpital et même devant la porte de la salle d'opération. Tout un pays s'est inquiété pour le «genou de la nation».
Mais Zurbriggen a miraculeusement retrouvé rapidement la forme. Il a mené la Suisse à travers des Mondiaux réussis. Il a glané l'or en descente et en combiné, et l'argent en slalom géant. Au total, la délégation helvétique a remporté huit médailles, tandis que l'Autriche en a ramené cinq, mais aucune en or.
Deux ans plus tard, en 1987, les Helvètes ont encore plus creusé l'écart à domicile, à Crans-Montana. Ils ont récolté 14 médailles, dont huit d'or sur dix possibles. Avec, aussi, un fantastique quadruplé en descente hommes. Cet événement fait d'ailleurs partie du patrimoine culturel suisse. Et nos voisins? Une fois de plus, ils sont repartis sans aucune médaille d'or.
Mais les Autrichiens n'ont pas tardé à répliquer. Lors des Championnats du monde de Saalbach en 1991, ils ont remporté cinq des dix médailles d'or. La Suisse en a obtenu trois grâce à Franz Heinzer (descente), Vreni Schneider (slalom) et Chantal Bournissen (combiné). Mais ce sont nos voisins qui ont clairement dominé le classement (onze breloques contre six aux Helvètes).
Depuis ce moment, l'Autriche n'a cessé de dicter sa loi en Coupe du monde: entre 1990 et 2019, elle a remporté 30 fois de suite le classement par nation. Lors des Mondiaux de 2003 et 2017, elle a aussi battu à chaque fois la Suisse chez elle, à Saint-Moritz.
Les derniers Championnats du monde organisés sur sol autrichien ont été un traumatisme pour nos compatriotes. C'était en 2013, à Schladming. Le ski suisse traversait alors la plus grande crise de son histoire.
L'icône suisse de la descente, Didier Cuche, venait de prendre sa retraite. Et Beat Feuz était absent. Alors que l'Autriche a remporté huit médailles, la délégation helvétique n'a décroché qu'une seule breloque en argent, grâce à Lara Gut-Behrami. Au terme de la saison de Coupe du monde, notre pays a terminé à une humiliante septième place.
En 2020, la Suisse a remporté le classement de la Coupe du monde pour la première fois depuis 30 ans. Et, en 2021, elle a enfin ramené des Mondiaux davantage de médailles que l'Autriche, une première depuis 1996.
Il semble que tous les avantages soient actuellement du côté de Swiss-Ski. Mais les Autrichiens devraient compter sur un soutien important à Saalbach: 250'000 spectateurs sont attendus. Corinne Suter, qui fait pourtant partie de l'équipe suisse de Coupe du monde depuis 14 ans, témoigne:
Les supporters autrichiens vont assurément s'égosiller pour pousser les leurs. Et là encore, la Kronen Zeitung s'enthousiasme. Sur une double page, une médecin ORL explique comment les fans doivent s'y prendre pour que leur voix résiste «à deux semaines plein gaz». La solution? Beaucoup de sommeil, pas de repas tardif, pas d'alcool. Difficile, mais faisable.
Traduction et adaptation en français: Yoann Graber