Le site internet des JO 2026 dit de cette piste qu'elle «fait la fierté de l'Italie dans le monde», ce qui n'est pas rien, dans un pays qui a inventé la Bella Maniera et les pardule. On l'appelle «Olympia delle Tofane», et c'est notamment pour elle que Lara Gut-Behrami envisage désormais de poursuivre sa carrière une saison de plus. Alors qu'elle avait annoncé que l'exercice 2024/2025 serait son dernier, elle a révélé lundi qu'elle ambitionnait de participer aux Jeux Olympiques 2026 de Milan-Cortina, afin notamment de retrouver une piste qu'elle adore, mais où tout avait pourtant mal commencé.
Car la première fois que Lara Gut-Behrami a posé ses spatules à Cortina d'Ampezzo, une très chic station située à deux heures de route au nord de Venise, elle a chuté après quarante secondes de course malgré un départ réussi. Aux journalistes qui l'avaient interrogée dans l'aire d'arrivée, l'adolescente de 16 ans et 8 mois avait répondu:
Les mots de Lara Gut-Behrami laissaient deviner la suite: libre d'esprit et de ton, elle ne se gênerait pas de dire ce qu'elle pense, ne se contenterait jamais de seulement participer, et deviendrait redoutable sur cette «Olimpia delle Tofane» qui avait sublimé ses qualités dès sa première participation. Car une seule erreur, ce jour-là, ne suffisait pas à effacer l'impression générale, et cette impression allait gagner en épaisseur avec le temps et les résultats.
Depuis ses débuts en 2008 jusqu'à ce jour, la Tessinoise a pris 40 départs sur la célèbre piste italienne et a remporté 7 victoires (11 podium au total). Elle a aussi été éliminée trois fois, dont une en 2017, après avoir heurté une porte de plein fouet en super-G, mais l'histoire retient surtout que sur sa piste fétiche, elle s'est imposée une fois au moins dans chacune de ses trois disciplines de prédilection: le super-G (4 succès), le géant (2) et la descente (1).
«Disputer 40 courses, ça veut dire descendre une centaine de fois la piste si l'on ajoute les entraînements et les deux manches de géant», rappelle l'ex-skieuse Florence Masnada. Lara Gut-Behrami a donc appris à connaître cette piste par coeur. «En plus, la descente est toujours la même. Saison après saison, les portes ne bougent pas», insiste la double médaillée olympique, comme pour souligner les automatismes acquis par la Suissesse au fil des ans.
Mais ce ne sont pas uniquement ces points de repère qui ont permis à la Tessinoise de briller. La géographie de la piste est pour beaucoup dans ses excellents résultats. «C'est une descente à la fois technique et rapide, donc qui correspond à ses deux principales qualités», résume Patrice Morisod, ex-entraîneur de la skieuse de Comano.
On y trouve des bosses, des ruptures de pente, un schuss à plus de 130 km/h et ces larges courbes à grande vitesse qui ont fait la réputation de la skieuse de 33 ans. «Elle est très forte pour anticiper, travailler avec le terrain, souligne Hugues Ansermoz, qui a aussi accompagné la Suissesse dans sa carrière. Elle a une capacité incroyable à faire les virages comme il faut derrière une bosse.»
Et si la météo lui vient en aide, Lara Gut-Behrami peut devenir carrément injouable. «Cortina, c'est une piste qui peut se durcir en fonction des conditions, et offrir une des descentes les plus difficiles de la saison, dans laquelle Lara peut faire parler ses qualités techniques», pointe Florence Masnada.
Mais l'autre avantage du tracé transalpin, c'est ce qu'il n'a pas: d'interminables portions de plat sur lesquelles il faut démontrer des qualités de glisseuse qui ne sont pas celles de la native de Lugano. «Avec ses 58 kg et son gabarit, elle n’a aucune chance sur le plat», avait dit un jour sa mère, Gabriela. «Si la piste n’est pas raide et que la neige n’est pas dure, c’est mortel pour elle», avait reconnu Hugues Ansermoz.
Il y a bien un secteur de glisse à Cortina d'Ampezzo, mais il n'a rien à voir avec le long tunnel de Lake Louise. Il se situe en fin de parcours, et la vitesse des skieuses est conditionnée par toute la partie technique précédente. Concrètement, cela signifie que si la Tessinoise ne commet pas d'erreur sur le haut, elle a peu de risques de perdre du temps sur le plat.
Or pour être le plus juste possible sur ses skis, il faut enchaîner les descentes et accumuler les kilomètres. C'est pour cette raison que les premières épreuves de vitesse servent souvent de réglages pour les femmes qui n'ont pas toujours la chance de passer leur été en Amérique du Sud ou sur les glaciers européens. Le rendez-vous annuel de Cortina intervient plus tard dans la saison, généralement dans la deuxième moitié de janvier, et coïncide avec le pic de forme des skieuses, à quelques semaines des JO ou des grands championnats. Celles-ci ont eu le temps de s'habituer aux longs skis et elles sont en pleine possessions de leurs moyens. Seul le talent pur les départage, et Lara Gut-Behrami n'en manque pas.
Il est chaque saison un peu plus difficile de la battre et c'est normal: «Quand tu retrouves une piste sur laquelle tu as l'habitude d'être performant, il y a une certaine euphorie», relève Patrice Morisod. Un sentiment auquel Florence Masnada a goûté et qu'elle partage.
La saison dernière, Lara Gut-Behrami avait trop de repères et de certitudes pour paniquer en voyant ses concurrentes chuter à tour de rôle à Cortina. Interrogée par la SRF après sa 2e place, elle avait expliqué que «si tu ne prends pas le départ calmement, tu finis par te retrouver dans les filets», soulignant d'une phrase toutes les vertus de la confiance dans le sport de haut niveau.
C'est sur cette piste que la Tessinoise a notamment remporté en 2021 les titres de championne du monde en super-G et en slalom géant, ainsi que la troisième place en descente. Et c'est ici aussi qu'elle espère briller pour ce qui seront les derniers Jeux Olympiques de sa formidable carrière, et peut-être, alors, la «reine des Dolomites» ne sera pas seulement le surnom d'une station de ski.