On a assisté au départ des «fous» et c'était déroutant
Sur l'île de la Réunion, comme sur beaucoup d'autres îles, le trafic est parfois dense. Alors, quand un événement international comme le Grand Raid est organisé, et monopolise la totalité des voitures de location, les embouteillages sont une réalité.
Pas étonnant donc de croiser – quatre heures avant le lancement de la Diagonale des Fous – des coureurs arrivés en avance, et tranquillement installés sur une chaise, dans un parking proche du site de départ. «L’attente est longue», reconnaît l’un d’eux. Mais au moins, il est certain de s’élancer à l’heure, et s’épargne tout stress inutile avant la course.
D’autres sont arrivés encore plus tôt. Ce sont les membres de l’association Run Handi Move, qui fête cette année ses 20 ans. Leur départ est prévu 30 minutes avant celui des raideurs. Or ils ont surtout une logistique lourde à gérer: il s'agit de déployer les joëlettes et de coordonner les 81 porteurs qui se relaieront sur une partie du parcours de la «Diag». Parmi eux, un jeune homme, qui s’apprête à courir avec un exosquelette, après avoir lui-même été porté sur le Grand Raid par le passé. «On fait le départ, on profite de l’ambiance, puis on se stoppe», glisse un membre de l’organisation.
toute la nuit. L’idée, c’est que ceux que l'on porte puissent profiter des paysages»
Dans ce groupe où l’ambiance est festive et la cohésion évidente, une tête connue se détache: celle de Daniel Sangouma, médaillé de bronze avec le relais 4×100 mètres français aux Jeux olympiques de Séoul. Du sprint à l’ultra-trail, vraiment? «Les genoux sont abîmés», sourit-il. «Je suis là en tant que parrain, pour leur apporter mon soutien.»
Le moment est venu pour nous de rejoindre le front de mer de la ville de Saint Pierre, d’où s’élanceront les 3000 traileurs de la Diagonale des Fous, devant des hordes de spectateurs. Un joyeux mélange de locaux et de touristes. D’accompagnateurs et de curieux qui n’ont aucun lien avec la course à pied.
Le départ de la mythique épreuve
A moins de trois heures du départ, la foule est déjà nombreuse. Difficile de se frayer une place le long des barrières qui bordent les premiers hectomètres du parcours. Et tout de suite, une question s'impose: un ultra-trail va-t-il réellement se courir ici? On ressent plutôt une atmosphère de vacances.
La nuit est tombée. Il fait encore chaud. Les animations musicales se succèdent au fil de la longue ligne droite de deux kilomètres. Il y en a pour tous les goûts, avec bien sûr, une part de créole. On danse sur la route. A certains endroits, la soirée est déjà bien entamée. On vend aussi toutes sortes de babioles. Les restaurants sont pleins. Les cabanons en bord de mer multiplient les ventes de lords, cet énorme sandwich qui a conquis la Réunion. Samoussas, boucané, rougail saucisses viennent aussi titiller nos sens. Beaucoup plus appétissant que les gels que consommeront les coureurs du Grand Raid. Et tellement plus dépaysant qu'à Chamonix, capitale mondiale du trail, où tout tourne autour de la discipline.
Plus loin, un cracheur de feu impressionne les enfants. Puis un cortège déboule de nulle part. Celui-ci est composé de fanfares, de danseurs et majorettes, et des miss Réunion. L'île est en fête et célèbre son événement: l'un des quatre Majeurs de l'ultra-trail. «C'est de la fierté», lâche un habitant de Saint Pierre.
Il souffle en effet un vent chargé d’histoire sur le parcours sinueux de la Diagonale des Fous. A l’époque coloniale, ces mêmes montagnes servaient de refuge aux esclaves qui tentaient de fuir l'injustice.
Finalement, seuls ces traileurs – bardés de leurs sacs à remettre à l'organisation – en route vers le départ, et ces spectateurs installés sur des chaises de camping, comme s'ils attendaient une étape du Tour de France, nous rappellent qu'un grand événement sportif se trame.
Puis la voix de «Ludo» Collet résonne. Impossible de ne pas se sentir happé vers la ligne de départ. L’ambiance monte encore d’un cran. Les joëlettes s’élancent dans un esprit festif, avant que les raideurs ne fassent leur apparition, entourés des bénévoles de l'organisation. L’hymne officiel du Grand Raid retentit. Et à 22 heures tapantes, heure locale, les «fous» sont enfin lâchés. Dignement acclamés, ils s’engagent dans une longue procession à travers la ville, avant de retrouver le calme de la nuit et de se disperser dans les montagnes de l’île intense.