«Facile!» ricanent mes collègues sportifs de watson, quand je débarque au bureau mercredi matin, avec cette question innocente. Ces éminents spécialistes me déroulent dans la foulée une explication claire, précise et sans bavures. Je repars de leur bureau, accablée par le sentiment d'être une pitoyable inculte.
Heureusement pour mon ego, les journalistes lambda de la rédaction s'avèrent nettement plus ignorants. Les théories sur les origines de cette distance légendaires fusent dans la confusion. Ce serait pas grâce à un héros grec, sur fond de guerre sanglante? C'était pas plutôt un délire du fondateur des Jeux olympiques? Ou, pourquoi pas, un caprice de la famille royale britannique? Sortez le pop-corn, il s'avère que c'est un peu de tout ça à la fois.
Les historiens se chamaillent sur l'identité de «l'inventeur» du marathon depuis environ 2500 ans. Les sources ne sont même pas fichues de s'accorder sur le nom du bonhomme: serait-ce Phidippidès, Thersippe ou Euclès? Nous, on retiendra que ce brave homme travaillait comme messager pour le roi des Grecs pendant l'Antiquité. A défaut de vous donner un nom exact, si vous voulez vous le représenter physiquement, il devait rassembler à ça.👇
Reprenons: le 13 septembre de l'an 490 avant notre ère, les Athéniens remportent une victoire décisive sur les Perses, à Marathon. Ivre de joie, le général Miltiade envoie son fidèle messager (appelons-le Euclès, par souci de simplicité) pour prévenir son peuple de la bonne nouvelle.
Son «armure encore chaude de la bataille», le vaillant Euclès avale docilement les 40 kilomètres qui séparent Marathon d'Athènes. Au terme de quatre heures de course à pied effrénée, le sportif en herbe atteint enfin l'Acropole. «Réjouissez-vous! Nous sommes victorieux!» clame-t-il sur la place publique, sans même avoir le temps de reprendre son souffle. L'instant d'après, il s'effondre. Mort.
Un vrai petit joueur en comparaison avec le record du monde actuel, détenu par Kelvin Kiptum, en 2 heures 00 et 35 secondes. Reste que, selon la légende, la performance d'Euclès aurait tellement inspiré ses compatriotes qu'ils auraient ajouté un «marathon» aux Jeux olympiques de l'époque, pour lui rendre hommage.
Faisons un petit saut de 2000 ans dans le temps.
Alors qu'il est en train de concevoir les Jeux olympiques modernes, en 1896, Pierre de Coubertin se dit qu'il manque quand même une petite «saveur antique» à sa compétition. Sur conseil d'un ami linguiste, Michel Bréal, il décide de lancer une course d'une quarantaine de kilomètres, de Marathon à Athènes, sur le modèle du trajet du vaillant soldat mort pour la gloire de son peuple.
Pour l'anecdote, le vainqueur de ce premier marathon olympique n'est nul autre qu'un berger grec, Spyrídon Loúis, qui a accompli la tâche en 2 heures 58 min.
Le marathon moderne était né. Enfin... presque. N'oublions pas que la longueur actuelle est de très exactement 42,195 kilomètres. Une bizarrerie que l'on doit aux caprices de la monarchie britannique.
Nous sommes en 1908, en pleins Jeux d'été, à Londres. Alors que le tracé du marathon, qui rassemble à l'époque une petite douzaine de coureurs seulement, est initialement fixé à 26 miles, les enfants de la famille royale réclament que l'épreuve parte depuis la pelouse du château de Windsor.
Et puis comme ça ne suffit pas, le roi Edouard VII en rajoute une couche en exigeant que le trajet, censé s'achever au White City Stadium, s'arrête précisément au pied de la loge royale. De ce fait, pour faire plaisir à Sa Majesté, la distance est alors portée à 26 miles et 385 verges, soit 42,195 km.
Une autre anecdote, pour la fin? C'est un pâtissier italien, Dorando Pietri, qui arrive le premier au pied de la loge royal. Non sans efforts: le malheureux serait tombé pas moins de cinq fois d'épuisement pendant la course. Par crainte qu'il ne meure en présence des membres de la famille royale, des responsables l'assistent pour l'aider à franchir, enfin, la ligne d'arrivée. Mal leur en a pris. La victoire de Dorando Pietri est contestée et c'est finalement l'Américain John Hayes, arrivé en seconde position, qui finira par être déclaré vainqueur.
Depuis cette édition iconique de 1908, la distance du marathon a encore légèrement évolué, avant d'aboutir à sa longueur actuelle de 42,195 kilomètres en 1924, lors des Jeux de Paris.
Evidemment, le marathon de Lausanne respecte entièrement la tradition: les organisateurs nous ont confirmé que le tracé 2023 mesure très exactement 42,195 kilomètres. Pas de triche.
A vos baskets, et bonne chance!