La finale du Championnat du monde d'échecs a lieu en ce moment même à Dubaï, et ce n'est pas qu'une opposition entre deux cerveaux bien remplis. C'est aussi un duel physique, un véritable corps-à-corps, un affrontement âpre et tendu entre deux sportifs de très haut niveau, le Norvégien Magnus Carlsen et son adversaire russe Ian Nepomniachtchi.
Le Figaro le résumait très bien dimanche, dans son analyse de la 6e partie (la finale se dispute au meilleur des 14 matchs), enlevée par Magnus Carlsen «après un combat titanesque de presque huit heures et de 136 coups». On aurait dit un match de boxe.
Le New York Times, lui, a choisi de filer la métaphore de la course à pied pour vulgariser l'avantage (5-3) du tenant du titre norvégien. «C'est comme s'il avait une avance de 10m dans une course de 100m alors qu'il en reste 50 à parcourir. Ou, étant donné la longueur et la vitesse des échecs, comme s'il avait 1km d'avance à mi-parcours d'un marathon.»
Tout ramène au défi physique que se livrent les deux joueurs de 31 ans et ce n'est pas un hasard -ce n'est d'ailleurs pas un hasard non plus s'ils sont aussi jeunes, puisque la discipline est devenue si éprouvante pour les organismes qu'elle disqualifie presque automatiquement les joueurs âgés. L'avenir, désormais, appartient à des prodiges nés en 1996 (Richard Rapport), 1998 (Krzysztof Duda) voire même 2003 (Alireza Firouzja). Bientôt, même les pièces vont rajeunir.
Mikhail Antipov fait partie de la même génération de joueurs qui a grandi avec les logiciels d'apprentissage sur ordinateurs. Des experts se sont penchés sur son cas lors d'un tournoi en 2018. Ils ont constaté que le Russe de 21 ans avait dilapidé 560 calories en deux heures de match. C'est l'équivalent d'une heure de vélo. Rapportée à l'ensemble d'une compétition, qui dure souvent plusieurs jours entre matchs, entraînements et débriefings, la dépense énergétique est impressionnante.
Ce n'est pas tout: le stress, induit par chaque prise de décision du champion en match, augmente sa fréquence cardiaque et le pousse à produire plus d’énergie.
C'est en raison justement de la dimension athlétique des échecs qu'hommes et femmes ne peuvent disputer les mêmes tournois. «La supériorité masculine est physique. Nous n’avons pas la même résistance», nous disait la Française Marie Sebag l'an dernier.
Dans cette nouvelle répartition des forces, qui a fait du corps humain la 17e pièce de l'échiquier (à moins que ce ne soit la première), les meilleurs obéissent à des rituels de plus en plus pointus, voire extravagants. Certains suivent des programmes de sport intensif, suppriment l'alcool de leurs menus ou composent eux-mêmes leurs boissons énergisantes.
Magnus Carlsen est sans doute le plus obsessionnel de tous: sa posture assise en compétition est savamment étudiée, il ne voyage jamais sans son cuisinier personnel et a même organisé ses séances de sport après avoir visité le centre d’entraînement olympique d’Oslo.
Le travail du Norvégien paie. Il est le meilleur depuis 10 ans. Les marques se l'arrachent. La dame du jeu adverse en tombe systématiquement amoureuse.