Uli Forte, comment se présente cette fin de saison?
C’est difficile à prévoir. J’espère juste que nous arriverons à nous éloigner le plus possible de la dernière place.
Dans quel domaine Winterthour est-il meilleur que ses concurrents?
Sur le plan mental. Cette équipe a encaissé énormément de coups, avec de nombreuses pertes de points dans les dernières minutes. Mais elle s’est toujours relevée. Elle incarne parfaitement la devise: "ce qui ne me tue pas me rend plus fort". J’ai déjà entraîné plusieurs équipes dans des situations similaires, et j’ai vu des choses très différentes.
Un exemple?
Quand j’ai pris en main le FC Zurich alors qu’il était dernier, l’équipe était pratiquement morte, même si le maintien était encore possible. Winterthour a certes été sous-estimé, mais le groupe est resté parfaitement uni.
Vous avez dit avoir déjà entraîné plusieurs équipes jouant le maintien. Etait-ce un choix de votre part, ou une obligation, faute de mieux?
J’aurais pu refuser. Mais je suis quelqu’un qui aime l’adrénaline. Je n’ai pas peur des grands défis. C’est ce qui m’a poussé à me lancer dans des projets que d’autres déconseillaient, en me traitant parfois d’imprudent. Pouvoir travailler dans le football est un privilège. Mais le football, ce n’est pas juste la Ligue des champions, la Coupe du monde ou l’Euro. Je ne me suis jamais considéré au-dessus d’un poste.
Cela dit, on vous colle souvent l’étiquette de «pompier de service».
Ah, ce stéréotype, je le connais par cœur. Avant, ça m’énervait, aujourd’hui, ça me fait juste sourire. On disait de moi que j’étais un bon motivateur, mais que j'étais tactiquement limité. Je vous en prie! Cela fait 23 ans que je suis entraîneur professionnel: vous pensez vraiment que je ne sais pas de quoi je parle? Lors du dernier match en phase régulière contre GC, nous avons changé de tactique quatre fois. Personne ne l’a vraiment remarqué.
Vous avez abandonné le combat contre ces clichés?
Non, je ne m’y attarde plus. J’ai plus de 50 ans, une famille, il y a des choses plus importantes que ça.
A Saint-Gall, votre première grande expérience, vous avez été limogé après 1000 jours. Vous étiez alors moins serein.
La première fois est sans doute la pire. Cela a été vraiment brutal. J’étais choqué, j'avais l'impression de tomber dans le vide, sans filet de protection ni aide.
Comment gérez-vous aujourd’hui cette situation?
Cela ne me laisse pas indifférent, mais je sais y faire face sans sombrer. Cela m’agace, mais ça ne me détruit plus.
Quand vous étiez jeune entraîneur, on disait de vous que vous étiez plus affamé et investi que d’autres.
Oui, mais je n’avais pas le choix. Je n’étais qu’un joueur moyen en deuxième division suisse, sans réputation suffisante. J'avais aussi des doutes: je me demandais si je pouvais être un bon entraîneur de première division sans jamais y avoir joué. Les anciens internationaux avaient une facilité que je n’avais pas. Heureusement, aujourd’hui, la mentalité a changé.
Au début de votre carrière, sur les conseils de votre frère, vous aviez volontairement renoncé aux relations amoureuses. Cela fait-il de vous un meilleur entraîneur?
Ce n’est pas propre au football: si tu veux réussir, tu dois tout sacrifier. Tu es le premier levé, le dernier couché. Quelque chose en pâtit forcément. Parfois, c’était: match le samedi, match le dimanche, et entraînement entre les deux. Il n’y avait pas de place pour une relation. Je ne voulais pas imposer ce mode de vie à une femme.
Depuis 2015, vous êtes en couple. Etes-vous un moins bon entraîneur maintenant?
Avec Caroline, j’ai trouvé une femme forte et équilibrée. Ce n’est pas une question de mieux ou moins bien. Je me souviens d’un de mes premiers matchs à Wil, une défaite 0-5 contre Chiasso. Cela aurait été bon d’avoir une famille pour me relever. Aujourd’hui, quand je rentre à la maison après une défaite et que mon fils vient vers moi, le football s’efface un instant.
Qu’est-ce qui a changé depuis que vous avez une compagne?
Je sais mieux déconnecter. Avant, je n’arrivais jamais à lâcher prise, j’étais en mode football 24h/24, 7j/7. C’est dangereux. Cela peut aboutir au burnout.
Qu’avez-vous pensé quand vous avez appris que Fredy Bickel devenait conseiller à Winterthour?
Cette histoire est terminée depuis longtemps.
Pourtant, Bickel vous a déjà viré deux fois: d’abord à YB, puis à GC.
En fait, il n’a été responsable qu’une seule fois, à YB. Nous avons eu une dispute. Ou plutôt, on avait des désaccords. Nous avons joué les qualifications pour la Ligue des champions contre Monaco, qui avait atteint les quarts de finale la saison précédente.
A cause de cette élimination?
Pas seulement. On ne peut pas virer l'entraîneur parce que Young Boys est éliminé par un club comme Monaco, où jouait Bernardo Silva. Mais vous savez, Fredy et moi, nous nous sommes revus plusieurs fois depuis. C’est du passé.
C’est vrai, mais Fredy Bickel a dit un jour: «Forte s’essouffle vite, à un moment, les joueurs en ont marre».
Vous avez raison. Mais nous en avons parlé. Et à GC, il a également été limogé peu après moi, quand les Chinois ont repris le club. A Winterthour, le conseil d’administration voulait plus de compétences techniques. Avec Bickel, ils ont quelqu’un d’expérimenté.
Vous entraînez depuis 23 ans, mais vous n'avez encore jamais remporté de titre de champion.
C’est dommage. En 2013, quand nous avons gagné la Coupe avec GC, il manquait seulement trois points pour rattraper le grand FC Bâle.
A YB, vous n’avez pas su la saisir.
L’idée était de bâtir une équipe championne en trois ans. C'est arrivé seulement deux ans après mon départ.
Sans titre, une carrière est-elle forcément incomplète?
En quelque sorte, oui. Mais je ne veux pas tout réduire à cela. Dans le football, il faut savoir être content d’avoir un poste d’entraîneur.
Après votre départ de GC en 2020, vous êtes resté un an et demi sans emploi. Comment avez-vous vécu cette période?
Je n’ai jamais eu peur pour mon avenir. Le Covid est arrivé, je suis devenu père. J’avais d’autres priorités que de me faire du souci pour ma carrière. Presque chaque matin, je faisais du jogging avec mon fils en poussette, je voyais des amis, je soutenais ma femme. Ce fut une super période.
Après avoir retrouvé un poste à Yverdon, vous êtes parti à Bielefeld en Bundesliga, ce que vous considérez comme votre plus grosse erreur.
Je ne suis pas d’accord. Je suis arrivé au bon endroit au mauvais moment. Les mauvaises personnes étaient là.
Bielefeld était-il un choix forcé, après que votre arrivée à Stuttgart a capoté?
C’est vrai, la Bundesliga a toujours été mon rêve. Dès l'adolescence, je regardais l’émission Das aktuelle Sportstudio. Je pensais qu’en faisant du bon travail à Bielefeld, je pourrais peut-être atteindre la première division. Je devais y aller. Cela n’a simplement pas fonctionné avec le directeur sportif, et j’ai été limogé après seulement quatre matchs. Ensuite, j’ai voulu faire une pause totale avec le football.
Même si vous aviez déjà été limogé quatre fois auparavant?
Oui. J’avais de grandes ambitions. Et soudain, après quelques semaines, tout s’effondre et tu te retrouves dans l’avion, avec tes bagages pour rentrer chez toi. C’est dur.
Qu’est-ce qui vous empêche d’abandonner dans ces moments-là?
La passion. Quelqu’un comme moi ne sera jamais guéri du virus du football, même après un échec comme à Bielefeld. Quand Xamax m’a sollicité, j’étais prêt à revenir.
Winterthour, c’est pour vous une chance de montrer que vous avez encore beaucoup à apporter, malgré ce que certains pensaient?
Ma priorité, c’est le maintien. Je ne suis pas là pour régler des comptes ou faire taire qui que ce soit. Je suis là pour faire mon travail et aider ce club à s’en sortir.
Cela ressemble quand même à un come-back pour Uli Forte.
Je ne le vois pas comme ça. On ne parle pas de moi, mais de Winterthour. Ce club mérite la Super League. Je n'ai jamais pensé aux conséquences de mes choix pour moi-même. Sinon, je n'aurais jamais plongé tête baissée dans de nouveaux projets.
Après le départ de Petkovic, vous avez postulé pour devenir sélectionneur national. Est-ce un objectif pour vous?
Ça devrait l’être pour tout entraîneur de football. C’est le poste le plus prestigieux. Je me suis dit que c'était une bonne opportunité, alors j’ai postulé, en sachant très bien que ça pouvait ne pas le faire. Je suis content que Murat Yakin, un bon ami, ait eu le poste.