Smilla Vallotto sourit: «C’est une question difficile». Qu’a-t-elle en elle de norvégien, d’italien et de suisse?
Puis elle se tourne vers sa coéquipière Nadine Riesen, assise à ses côtés en conférence de presse:
Avec sa mère norvégienne et son père italo-suisse, Smilla Vallotto incarne à elle seule la richesse culturelle de l’équipe nationale, qui compte treize joueuses aux origines étrangères. Certaines, comme Vallotto, Coumba Sow ou Meriame Terchoun, réunissent même les cultures de plus de deux pays.
Au final, plus de 56% des joueuses qui viennent de participer à l'Euro possèdent une autre nationalité en plus du passeport suisse. Cette Nati féminine reflète donc fidèlement la Suisse: selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), 40% des personnes de plus de 15 ans vivant ici ont un passé migratoire, une proportion qui ne cesse de croître.
Trois internationales ont même passé la majeure partie de leur enfance à l’étranger. Smilla Vallotto est née en 2004 à Genève. Mais à l'âge de quatre ans, sa famille a déménagé en Norvège, où elle a donc grandi et appris le football. Laia Ballesté, dont la mère est originaire de Neuchâtel, est née en Espagne. Quant à Noelle Maritz, ses parents ont vécu dix ans avec elle en Californie.
La majorité des joueuses ayant des origines étrangères ont cependant grandi dans les Alpes. Beaucoup ont un parent suisse et un autre issu d’un autre pays. D’autres, comme Riola Xhemaili (originaire du Kosovo), Ana-Maria Crnogorcevic ou Noemi Ivelj (Croatie), sont nées en Suisse de parents ayant fui la guerre.
Chez les hommes, des noms comme Granit Xhaka, Xherdan Shaqiri ou Breel Embolo sont familiers depuis longtemps. Chez les femmes, la diversité est en revanche plus récente. Lors de la première participation de la Suisse à une Coupe du monde, en 2015, les cadres de l’équipe s’appelaient Dickenmann, Bachmann, Wälti, Humm, Betschart, Moser ou Oehrli. Seules six des joueuses sélectionnées cette année-là avaient des origines étrangères.
En plus des actuelles Ana-Maria Crnogorcevic et Noelle Maritz, l’équipe comptait alors la gardienne Gaëlle Thalmann (Italie), Eseosa Aigbogun (Nigeria), non retenue cette fois-ci par Pia Sundhage, la consultante Rachel Rinast (Allemagne) et Florijana Ismaili (Albanie), tragiquement décédée en 2019.
Ce faible nombre n’était pas un hasard. En 2015, Franziska Schild, alors responsable du football féminin au sein de l’Association suisse de football (ASF), expliquait à CH Media, groupe auquel watson appartient: «Dans certaines cultures, les freins familiaux sont souvent plus forts pour les filles qui souhaitent jouer au football».
Plusieurs joueuses confirment cette difficulté. Ana-Maria Crnogorcevic, d’origine croate, raconte qu’elle devait cacher ses crampons à son père: «Il m’avait interdit de jouer. Je n’ai rien lâché, j’ai supplié ma mère de m’inscrire en secret. On a réussi à le cacher pendant trois semaines, puis il a découvert la vérité. Il n’était pas content, mais la colère est vite passée».
Même histoire pour Eseosa Aigbogun, absente de l’Euro 2025. L’internationale suisse d’origine nigériane confiait récemment: «Mon père ne voulait pas que je joue au foot. Il préférait que je fasse du tennis, parce que j’étais une fille. Ma mère m’a inscrite en cachette. Quand il a vu que j’étais douée, il a fini par accepter».
Mais ces résistances ne sont pas uniquement liées aux origines étrangères. Chez Alayah Pilgrim, c’est sa mère suisse qui s’opposait au départ à sa pratique du football. A six ans, elle commence donc à jouer dans une équipe de garçons, en secret, au FC Muri. Son entraîneur finira par convaincre sa mère.
Malgré leur rôle de représentantes de la diversité suisse, certaines joueuses sont encore victimes de préjugés racistes. Riola Xhemaili, buteuse décisive contre la Finlande à la 92e minute, en a fait l’expérience. Elle reçoit régulièrement des messages haineux sur les réseaux sociaux: en Suisse, parce que son nom ne «sonne» pas assez helvétique, au Kosovo, parce qu’elle a choisi de jouer pour la Suisse.
En 2024, elle avait choisi de partager certains de ses messages sur Instagram, affirmant: «Mes racines sont au Kosovo, et cela ne changera jamais. Mais je joue pour la Suisse, car je suis reconnaissante d’avoir grandi dans un pays aussi formidable». Après son but décisif contre la Finlande, à l'Euro, Xhemaili a révélé avoir aussi reçu des messages encourageants venus d’Albanie et du Kosovo. La joie qu’elle et l’équipe ont manifestée est devenue virale.
Ce qui frappe en discutant avec les joueuses de l’équipe nationale, c’est leur fierté de porter le maillot rouge. Et pourtant, toutes ont en elles plusieurs identités. «Je suis ponctuelle et organisée: ça, c’est suisse. Mon tempérament, ma franchise et ma spontanéité, c’est croate», explique Noemi Ivelj. Leila Wandeler, l’une des révélations du tournoi, ajoute en riant:
L’équipe de 2025, éliminée vendredi par l’Espagne, incarne donc pleinement la multiculturalité. Cela se voit aussi dans les langues parlées. Vallotto échange en norvégien avec Naina Inauen (non retenue pour l’Euro) et en suédois avec la sélectionneuse Pia Sundhage. Laia Ballesté et Viola Calligaris discutent en espagnol. Ivelj et Crnogorcevic en croate. L’anglais, l’allemand et le français viennent bien sûr s’entrelacer dans le vestiaire.
Revenons maintenant à Smilla Vallotto. Elle aurait très bien pu porter les couleurs de la Norvège ou de l’Italie, et disputer son quart de finale sous un autre maillot. Mais pour elle, tout s’est joué à l’âge de 15 ans. A l’époque, le sélectionneur norvégien ne montre que peu d’intérêt à son égard. Alors, elle prend les devants: elle contacte elle-même l’Association suisse de football et affirme sans détour son souhait de jouer pour la Suisse. C’est donc elle qui a fait ce choix, en toute conscience, une décision qui incarne parfaitement la détermination dont font preuve les Suissesses sur le terrain.