Roland-Garros s'est terminé dimanche par le sacre de Carlos Alcaraz, mais l'Espagnol n'est pas le seul à avoir laissé son empreinte sur la terre battue du tournoi parisien cette année. Corentin Moutet s'est lui aussi distingué, en raison notamment de son service à la cuillère. Un coup masqué, joué en frappant la balle par le bas, et qui a dérangé la plupart de ses adversaires. Face à Sebastian Ofner en 16e de finale, le Français a ainsi marqué neuf points sur douze grâce à ce stratagème, soit un taux d'efficacité de 75%.
L'utilisation du service à la cuillère a nourri de longs débats sur la légitimité du coup (est-ce bien fair-play?) ou sa difficulté technique, mais il a été très peu question de la façon dont l'adversaire doit le prendre, et y répondre. Ce n'est pas évident, en effet, de renvoyer une balle qui rase le filet, puis rebondit mollement et avec beaucoup d'effet.
Johan Nikles est bien placé pour le savoir. «Je me suis récemment pris un ace sur un service à la cuillère, confesse le tennisman genevois (ex-256e mondial). Il y avait pas mal de vent ce jour-là, et mon adversaire (réd: Fabien Reboul) a parfaitement exécuté son geste.»
Nikles a une fois de plus été confronté à ce type d'engagement en début d'année au tournoi de Hammamet. Il en est convaincu:
«On se rend compte que les mecs ne savent pas quoi faire, expliquait le journaliste de RMC Eric Salliot durant les Internationaux de France. La balle est courte, donc ils montent et se font punir. Franchement, je ne saurais pas comment réagir moi non plus!»
Que dirait un coach à un joueur malmené par la roublardise de son adversaire à l'engagement? Pour le savoir, nous avons lancé un coup de fil à Erfan Djahangiri, entraîneur au TC Stade-Lausanne et ancien mentor de la Vaudoise Timea Bacsinszky. Mais ça ne s'est pas tout de suite passé comme prévu.
Erfan Djahangiri recommande toutefois de gagner le point «en deux coups». «Je remets la balle dans le camp adverse en attaquant, puis je conclus», résume-t-il. Oui, mais comment? L'expert déconseille de jouer une frappe croisée, au risque de laisser un angle ouvert au filet, face à des serveurs à la cuillère qui se savent très forts en passing. Il ne recommande pas davantage le «contre-amorti», c'est-à-dire de répondre par une balle courte, car les serveurs sont trop bien placés pour être surpris.
Le plus simple consiste donc à jouer long de ligne et à boucher les angles en restant au filet. Mais pour avoir une chance d'être sur la balle, il faut d'abord surmonter l'effet de surprise voulu par le serveur en masquant son geste. «Le plus dur dans un service à la cuillère, c'est de le voir, de l'anticiper», résume Nikles.
Il faut ensuite accepter d'avoir été mis au défi, et ce n'est pas simple. «Recevoir un service à la cuillère peut affecter un joueur, considère Erfan Djahangiri. Tu as l'impression que ton adversaire se moque de toi. Tu te sens ridicule, et même un peu bête.» «C'est un geste qui peut entrer dans ton cerveau, estime également Johan Nikles. Après un tel engagement, tu vas peut-être te positionner plus proche du carré de service pour ne pas être abusé une prochaine fois, et c'est là que tu cours le risque d'être débordé, et donc puni, sur un service "traditionnel" (donc par le haut) de ton adversaire.»
On sait très bien quels sont les meilleurs retourneurs du circuit (Djokovic, Murray, etc.). Mais quels joueurs sont les mieux armés pour répondre à un service à la cuillère? «C'est une question rigolote», sourit Erfan Djahangiri, qui retourne le problème: «J'ai presque envie de dire que ce sont ceux qui les font, parce qu'il faut être un peu joueur pour faire un service par le bas ou savoir le renvoyer. Or certains considèrent encore ça comme de l'anti-jeu et n'ont même pas envie de le jouer. J'ai le souvenir de Nadal qui ne fait même pas l'effort de retourner la balle de Kyrgios à Wimbledon.»
Rafael Nadal n'a pas eu de chance, cette année à Roland-Garros, puisqu'il a du se coltiner Alexander Zverev au 1er tour, mais le pire est peut-être à venir: il pourrait tomber sur Corentin Moutet aux JO de Paris.