Tobias Koepf est directeur de recherche à la Fondation Genshagen de Berlin, spécialiste, entre autres, des relations franco-allemandes. Pour watson, il décrit l'évolution du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD), deuxième dans les sondages à l'approche des élections européennes du 9 juin, sous surveillance des services de renseignement.
La tête de liste de l’AfD aux élections européennes, l’eurodéputé Maximilian Krah, vient d’être mise en retrait de la campagne par son parti. Pourquoi?
Tobias Koepf: Il y a plusieurs raisons à cela. Début avril, le numéro 2 de la liste AfD aux élections européennes, Petr Bystron, était accusé par un journal tchèque d’avoir perçu de l’argent de la Russie. Fin avril, l’un des assistants parlementaires de Maximilian Krah, Jian Guo, de nationalité allemande avec des origines familiales chinoises, a été arrêté pour espionnage au profit de la Chine. Le week-end dernier, Maximilian Krah a tenu des propos choquants dans le quotidien italien La Repubblica, affirmant que tous les membres de la SS n’avaient pas été des criminels.
On peut rappeler la réunion de Potsdam en novembre dernier, à la suite de quoi une partie des Allemands était descendue dans la rue en signe de protestation.
Il s’agissait d’une réunion d’extrémistes de droite, à Potsdam en effet. Il y avait parmi eux des membres de l’AfD. Cette rencontre, où fut comme planifié le renvoi d’étrangers, même naturalisés Allemands, a provoqué une onde de choc en Allemagne.
L’AfD est-il un parti dominé par des radicaux?
Je dirais que oui. Ceux, les modérés, qui auraient pu dédiaboliser le parti, l’ont quitté.
Sur quoi l’AfD fait-elle campagne?
Sur les prix de l’énergie qui ont augmenté depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. Sur l’immigration, en hausse en Allemagne depuis un ou deux ans. Sur l’hostilité à l’Union européenne. Sur le climat, refusant les efforts faits par l’Allemagne pour diminuer le bilan carbone de l’économie allemande. Contre l'islam, même si ce thème n'est pas au centre de ses préoccupations du moment. Comme d’autres partis populistes ou d’extrême droite, le but de l’AfD est d’engranger les votes protestataires, ceux des mécontents de la politique du gouvernement.
Quel est le positionnement de l'AfD vis-à-vis de la Russie?
Cela explique que la relation de l’AfD avec d’autres partis d’extrême droite en Europe est assez compliquée. Fratelli d’Italia est résolument derrière l’Ukraine et le RN en France a dû se résoudre à lâche Poutine, au moins publiquement.
Pourquoi ce soutien de l’AfD à la Russie?
L’AfD est un parti principalement ancré en ex-Allemagne de l’Est, autrefois sous domination soviétique. Il y a là quelque chose de paradoxal, quand on sait l’énergie mise par les ex-Allemands de l’Est à faire tomber le mur en 1989. Ce côté pro-russe est peut-être une façon de faire payer à l’ex-Allemagne de l’Ouest une réunification qui s’est révélée compliquée. On ne peut faire ici que des hypothèses.
Pourquoi l’AfD, au-delà de son classement à l’extrême droite, apparaît-elle à beaucoup comme un parti dangereux?
Parce qu’il y a de la radicalité en elle. C’est un parti qui devient plus populaire, qui a tendance à s’installer comme la deuxième formation politique dans certaines régions d'Allemagne, tout en cultivant un positionnement radical. Ce faisant, l’AfD s’empêche de gouverner, les autres partis ne voulant pas d’elle dans des coalitions. L’AfD va-t-elle à l’avenir se modérer pour devenir un parti de gouvernement? Pour cette formation politique, c’est évidemment un dilemme. Elle demeure sous surveillance des services de renseignements en raison de son «extrémisme».
Le leader de l’AfD dans le Land de Thuringe, Björn Höcke, qui, en 2017, avait déploré l'existence à Berlin d'un mémorial «de la honte» rappelant l'Holocauste, reste-t-il l’un des personnages les plus sulfureux du parti?
Björn Höcke a été condamné début mai à 13 000 euros d’amende pour avoir dit dans une déclaration publique en juin 2023, «Alles für Deutschland » (tout pour l’Allemagne), un slogan utilisé par les SA (une organisation paramilitaire nazie) et interdit en Allemagne.