Il est assez savoureux de constater que même lorsqu'elles enchaînent des performances exceptionnelles chaque week-end, les équipes auxquelles personne ne croyait en début de saison continuent d'être sous-estimées. C'est peut-être pour ça qu'elles vont au bout, d'ailleurs.
Prenez Arsenal et Naples: ces deux formations ont une avance confortable en tête de leur championnat (les Anglais ont 5 points d'avance sur le deuxième avec un match de moins et les Italiens 12). Elles ont des joueurs de qualité et produisent l'un des plus beaux football de leur pays. Chaque vendredi pourtant, des spécialistes viennent nous expliquer qu'un jour ou l'autre, ce week-end peut-être, elles vont forcément faiblir, mollir, baisser le pied voire carrément s'écrouler. On a ressorti les trois rengaines les plus souvent entendues quand un club «sur-performe» pour vous démontrer qu'elles ne sont pas toujours vraies (euphémisme).
Il paraîtrait que c'est lorsque personne ne les attend que ces équipes sont capables de se sublimer. Dès lors que la perspective du titre s'approche et que leurs chances deviennent concrètes, elles seraient comme inhibées par la pression et ne sauraient soudain plus faire une passe. Or c'est oublier d'une part que la confiance et les automatismes acquis pendant des mois sont solidement ancrés chez les joueurs, d'autre part que l'histoire récente nous enseigne exactement le contraire.
Leicester (en 2016) et Zurich (en 2022) sont les deux dernières équipes à être allées au bout envers et contre tous les pronostics, alors même que les observateurs s'attendaient à une baisse de forme en mars/avril, lorsque ces deux clubs ne pourraient plus cacher leur ambition de victoire finale. Or quels ont été leurs résultats à cette période?
Eh bien, non. Une blessure peut même ne rien changer du tout. La preuve avec Naples: si le club parthénopéen est aussi fort cette saison, c'est grâce à son entraîneur (Luciano Spalletti), à sa force collective mais aussi à ses individualités, comme Khvicha Kvaratskhelia. Or après un début de saison incroyable (6 buts et 7 passes décisives en 12 parties), l'indispensable milieu, affectueusement surnommé «Kvaradona» par le public napolitain, a manqué quatre matchs sur blessure. Qu'a fait son équipe pendant ce temps? Elle s'est imposée quatre fois.
Arsenal a lui aussi dû se passer d'un joueur dont il croyait avoir absolument besoin. Mais lorsque Gabriel Jesus s'est blessé au genou, les Gunners se sont rendus compte qu'ils avaient une solution de rechange encore plus efficace sur le banc: Eddie Nketiah. Le buteur de 23 ans a marqué 4 buts lors des cinq dernières journées de Premier League, soit autant que Gabriel Jesus depuis le début de la saison.
La vérité est qu'il ne faut jamais sous-estimer les ressources de ces équipes capables de sublimer leurs joueurs. Car le succès est contagieux: quand un groupe vit bien et empile les victoires, les remplaçants sont capables eux aussi de grandir très vite quand leur entraîneur a besoin d'eux.
Une équipe trop habituée à gagner peut-elle soudain ne plus savoir perdre? C'est ce que certains avaient suggéré en évoquant la série en cours du FC Zurich l'an dernier. Le futur champion était resté invaincu pendant 17 matchs. Comment allait-il réagir après un revers? Ses joueurs en seraient-ils durement affectés au point de se démobiliser? Encore une fois, la vérité est venue du terrain. Après un lourd revers contre Saint-Gall (0-3) ou une défaite contre Servette (0-1), le FCZ a toujours dominé YB lors du match suivant, à chaque fois sur le même score (2-1).
Les outsiders savent donc perdre et, surtout, n'oublient pas comment gagner. C'est encore arrivé cette année: alors que les observateurs prédisaient que le championnat serait relancé si Naples perdait dès la reprise en janvier sur le terrain de l'Inter (0-1), c'est le contraire qui s'est produit. Le leader a remporté ses trois rencontres suivantes et creusé encore son avantage sur ses poursuivants.
Il serait utile, dès lors, de se souvenir des leçons que le football nous enseigne, et de considérer que Naples et Arsenal ont bien assez de ressources (sportives et mentales) pour terminer le travail qu'ils ont commencé.