Un événement ô combien symbolique. Mardi, le championnat de football ukrainien a repris, après huit mois de pause forcée à cause de l'invasion russe. La nouvelle saison a été lancée par le duel entre le Chakhtar Donetsk et le FC Metalist Kharkiv (0-0), deux villes meurtries par la guerre.
«Préparer l'équipe pour un match en temps de guerre est évidemment difficile. C'est une situation totalement inhabituelle», a expliqué le nouvel entraîneur du Chakhtar, Igor Jovicevic. Le Croate a aussi parfaitement résumé l'utilité du football pour l'Ukraine:
💙💛 Football season has begun!
— FC SHAKHTAR ENGLISH (@FCShakhtar_eng) August 23, 2022
🇺🇦 Incredible performance of the Anthem of Ukraine by Mykhailo Khoma before #ShakhtarMetalist1925 match.#Shakhtar pic.twitter.com/xF0ipLL1pk
De quoi ramener un semblant de normalité dans le pays et une échappatoire au quotidien plus que morose. Même si, bien sûr, il y a des choses bien plus importantes que le football. Le ballon rond a aussi la faculté de redonner de l'énergie et de la fierté au peuple ukrainien. C'est ce que sous-tend le message sur Facebook du ministre des sports, Vadym Gutzeit:
Concrètement, 16 équipes s'affronteront en première division. Parmi elles, nombreuses sont celles qui doivent s'exiler dans d'autres stades. Le Chakhtar Donetsk, par exemple, jouera ses matchs à domicile à Lviv et le Zorya Luhansk se rendra dans l'enceinte du Dynamo Kiev. Le duel entre les deux promus, Tchornomorez Odessa et Veres Rivne, a eu lieu au stade Bannikov de Kiev. De manière générale, seuls la capitale et l'ouest du pays accueilleront des matchs.
🇺🇦 Football returned to Ukraine!
— FC SHAKHTAR ENGLISH (@FCShakhtar_eng) August 23, 2022
Start of the new season with draw game vs Metalist 1925.#ShakhtarMetalist1925 #Shakhtar pic.twitter.com/wroIrG5LYF
Les clubs contraints de se déplacer dans un autre stade peuvent encore s'estimer heureux. Certains autres ne peuvent tout simplement pas participer au championnat. C'est le cas du Desna Tchernihiv et du FK Marioupol, qui ont renoncé à s'aligner: leurs villes respectives ont été dévastées par l'armée russe. L'avenir du FK Marioupol est même incertain. Son enceinte a été complètement détruite et 20'000 habitants sont morts.
Avant le championnat, les spéculations allaient bon train sur la possibilité de voir le championnat se dérouler au moins en partie en Pologne ou dans un autre pays d'Europe de l'Est. De nombreux scénarios ont été évoqués, mais le souhait de jouer en Ukraine est venu personnellement du président, Volodymyr Zelensky.
«J'ai parlé avec Zelensky de l'importance de distraire les gens avec le football. Jouer des matchs à l'étranger aurait été artificiel», a justifié le président de la fédération ukrainienne, Andriy Pavelko, parlant d'une «compétition unique». Cette appellation est légitime: presque aucun endroit en Ukraine n'a été épargné par les troupes de Vladimir Poutine.
Il y a tout juste dix ans, l'Ukraine était encore l'hôte, avec la Pologne, de l'Euro 2012. Le futur champion d'Europe, l'Espagne, avait même disputé son quart de finale contre la France à Donetsk, dans la Donbass Arena. Un stade ultramoderne, dans lequel même les sièges des spectateurs étaient chauffés, aujourd'hui complètement déserté et en partie détruit.
Mais devoir abandonner son stade n'est pas la pire conséquence de la guerre pour le Chakhtar Donetsk: il a perdu plusieurs joueurs de premier plan à cause du règlement spécial de la Fifa pour les joueurs en zone de guerre. L'instance a permis aux footballeurs évoluant en Russie et en Ukraine de rompre unilatéralement leur contrat. Du coup, des cracks comme les Brésiliens David Neres ou Dodo ont quitté le club pour des indemnités inférieures à la valeur du marché. Tete – un autre Auriverde – est, lui, parti en prêt à l'Olympique lyonnais.
Autant de piliers dont le Chakhtar est privé dans sa lutte pour le titre. Le club réclame des dommages et intérêts à la Fifa pour les départs de ses joueurs. Le directeur général Sergei Palkin expliquait dans The Athletic qu'il s'était déjà mis d'accord avec Fulham concernant le transfert de l'attaquant Manor Solomon, pour 7,5 millions d'euros. Mais après l'instauration du règlement spécial, les Londoniens auraient acquis gratuitement Solomon. Contrairement au Chakhtar, le Dynamo Kiev, l'autre grand favori pour le sacre national, a été épargné par les départs.
Histoire de se conformer aux mesures de sécurité en vigueur, les matchs se déroulent à huis clos. Un abri anti-aérien a été installé dans chaque stade pour protéger les joueurs, le staff et les arbitres en cas d'attaque de missiles russes pendant une rencontre.
Les protagonistes du duel Rukh Lviv - Metalist Kharkiv ont eu l'occasion de tester l'une de ces infrastructures mercredi. Leur match a été interrompu trois fois par les sirènes. Au total, ils ont passé deux heures et vingt-cinq minutes dans l'abri (le match a commencé à 15h00 et s'est terminé à 19h27...), sans qu'aucune frappe, heureusement, n'ait eu lieu dans la zone.
Taras Stepaneko doit sans doute être très content de n'avoir pas joué cette partie. Le milieu du Chakthar Donestsk avait déclaré, il y a quelques jours, que «ce serait difficile si cela (une interruption) dure plus d'une heure», tout en suggérant d'équiper ces abris de vélos d'appartement pour permettre aux joueurs de se dégourdir les jambes.
On ne sait pas si ceux du Rukh Lviv et du Metalist Kharkiv ont pédalé mercredi, mais une chose est sûre: en terminant leur match, ils auront au moins amené un peu de distraction et de joie à leurs supporters.
Adaptation en français: Yoann Graber