Entre le sacre du HC Bienne (1983) et celui de Genève-Servette la saison dernière, la Romandie dû patienter 40 ans pour fêter un nouveau titre de champion. C'était long et, soyons honnêtes, ça ne valait pas le coup d'attendre autant, même si la fin de ce qui pouvait être perçu comme une anomalie a peut-être changé beaucoup de choses.
Car douze mois plus tard, on sort d'une demi-finale 100% romande disputée à guichets fermés et voici le Lausanne HC revenu de nulle part (il était 11e avec 28 défaites au terme du précédent exercice) pour jouer le titre face aux ZSC Lions. Il semble qu'une euphorie contagieuse ait gagné les équipes francophones de National et Swiss League (le HC La Chaux-de-Fonds vient d'y fêter son 2e titre consécutif) et fait oublier le petit complexe d'infériorité dont elles semblaient jusqu'ici souffrir lors des séries finales.
Mais ce complexe a-t-il vraiment existé? «Oui», assure Klaus Zaugg, expert du hockey sur glace chez watson, s'appuyant sur les expériences malheureuses de Genève-Servette sous l'ère de son emblématique entraîneur Chris McSorley. «On pensait que si lui n'arrivait pas à remporter le titre à Genève, personne n'y arriverait.» Le problème, c'est que même McSorley avait perdu confiance: «Quoi que je fasse, il me manquera toujours au moins 1 million pour remporter le titre», se lamentait-il.
Jan Cadieux y est parvenu, épinglant même la Ligue des champions par la suite. Ce n'est pas rien, quand on vient d'une partie du pays où les hockeyeurs ont longtemps été caricaturés comme des fainéants incapables de hausser leur niveau de jeu en play-off. L'ancien international Michel Zeiter avait même affirmé en 2013 qu'il ne fallait pas trop de Romands dans une équipe si celle-ci voulait triompher. Certains avaient fini par y croire. «Peut-être devrions-nous nous montrer un peu plus suisses-allemands pour gagner quelque chose», avait songé Raphaël Berger (ex-directeur de Gottéron) toujours en 2013, après les six finales de championnat perdues par son club et par Genève. Gil Montandon, ex-attaquant des Dragons et de Berne, avait partagé le même constat en 2017, non sans prendre quelques précautions d'usage:
Ces quarante années d'échecs et de remarques vexantes (certains diront qu'il n'y a que la vérité qui blesse) avaient fini par effacer des mémoires les 11 titres (sur 21) décrochés par des clubs de Suisse occidentale de 1963 à 1983. Mais cet oubli de l'histoire a été vengé l'an dernier et il est possible que le succès 4-0 de Bienne en demi-finale face aux ZSC Lions, puis les deux titres (suisse et européen) de Genève-Servette, aient rappelé aux clubs romands qu'ils étaient capables d'être grands, et même immenses, quand ça comptait. Comme diraient nos collègues zurichois: d'être comme eux.
Est-ce donc la fin d'un complexe? «Je préfère évoquer le terme de frustration, nuance Olivier Keller. On ne s'est jamais senti complexé en échouant pour le titre. En revanche, on était frustré de ne pas y parvenir.» L'ancien joueur du GSHC, du LHC et de Fribourg-Gottéron notamment, relativise toutefois le parallèle que l'on pourrait établir entre les succès romands de la saison dernière et ceux de cette année: «Voir Genève et Lausanne en finale à douze mois d'intervalle est un hasard du calendrier.» C'est aussi l'avis de la co-présidente du HC Bienne Stéphanie Mérillat, dont la situation géographique en fait une interlocutrice privilégiée.
La dirigeante préfère insister sur le travail fourni par les clubs actuellement en réussite et elle a raison: Lausanne a des dirigeants qui ont très bien travaillé sur le marché des transferts, une équipe savamment construite, un public fidèle et une patinoire doté de lucratives loges VIP. C'est le signe que, contrairement à ce que l'on a essayé de nous faire croire, on ne devient pas champion en sélectionnant les hockeyeurs selon leurs origines. «La Ligue est très équilibrée depuis quelques années et on s'attendait à ce qu'à un moment ou un autre, un club que l'on n'a pas l'habitude de voir en finale y parvienne. C'est le cas et je le vois plutôt comme une sorte de libération.»
Libérés d'un complexe ou d'une frustration (chacun choisira), les clubs de Suisse occidentale ont tellement progressé qu'ils ont changé le regard que leurs adversaires portent sur eux. «Le titre de Genève a augmenté la sympathie des Alémaniques pour le hockey romand, constate Klaus Zaugg. On s'est tous dit que c'était mérité qu'une équipe francophone soit enfin championne».
Les clubs de Suisse occidentale peuvent-ils susciter autre chose que de la sympathie? Une forme de méfiance? On n'ira certes pas jusqu'à soutenir que les ZSC Lions auront peur de se noyer en franchissant la Sarine, jeudi, pour l'acte II de la finale à la Vaudoise aréna, «mais ils auront peut-être plus de respect que par le passé, songe Olivier Keller. Car les succès des équipes francophones leur apportent de la crédibilité et renforcent leur statut sur la scène nationale. On voit d'ailleurs de plus en plus de joueurs alémaniques dans les vestiaires romands».
Michel Zeiter dirait que c'est exactement pour ça que les Romands sont devenus meilleurs ces dernières années, mais ça ne signifie pas qu'il aurait raison.