L'office du tourisme de Saillon reçoit chaque été de nombreux appels concernant sa via ferrata, l'une des plus belles, mais aussi l'une des plus dangereuses de Romandie. «Nous précisons aux pratiquants qu'il y a trois parties distinctes sur le tracé, nous explique une responsable au téléphone. La première est accessible aux débutants, la deuxième est déjà plus difficile, et la troisième est réservée aux confirmés. On ne peut pas surveiller ou contrôler ceux qui s'y engagent, mais on met en garde sur le fait qu'il ne faut pas présumer de ses forces, au risque d'être coincé.»
Ces recommandations se heurtent à un mur (en langage des via ferrata: une paroi).
De nombreux sauvetages par hélicoptère ont déjà eu lieu à Saillon, les secours venant récupérer des grimpeurs pétrifiés en pleine ascension. Le nombre d'interventions a diminué avec le temps et avec la prévention faite sur les réseaux sociaux, ce qui n'empêche pas les ferratistes de se faire surprendre ailleurs après avoir surestimé leur niveau.
«Il y a de plus en plus de «touristes» qui restent bloqués dans les voies par manque de force», constate Sébastien, pratiquant vaudois de 24 ans. La faute à ce qu'il estime être des apparences trompeuses. «Le suréquipement et l'hyper sécurisation des via ferrata laissent penser que les itinéraires sont de simples attractions tout public. Or ce n'est absolument pas le cas.»
La légèreté avec laquelle les itinéraires sont abordés s'observe déjà dans l'équipement de ces «sportifs du dimanche». «Seulement un tiers des clients qui viennent louer du matériel dans mon magasin (baudrier, longe et casque) ont une tenue adéquate», renseigne Régis Borgeat. Le propriétaire de l'enseigne éponyme à Champéry ne compte plus les touristes qui se lancent dans les parois chaussés de Converse. «On a longtemps exigé des chaussures de montagne. Mais depuis une dizaine d'années, on ne dit plus rien, car c'est à chaque fois la prise de tête.» Le gérant estime à plus de la moitié le nombre de ses clients qui se lancent pour la première fois dans une via ferrata.
Pour décourager les inconscients, les responsables des itinéraires en sont arrivés à exagérer volontairement le niveau de difficulté. «Il y a une tendance à surcoter les voies», nous disait Julien Torrent l'an dernier, quelques jours avant l'ouverture de sa via ferrata dans la région de Niouc. Le Valaisan avait longuement étudié la façon de présenter le parcours au public. «Nous l'avons finalement coté Difficile + (D+), car on ne souhaite pas que des gens vivent leur première expérience ici. Il y a beaucoup de vide et certaines prises sont un peu verticales.»
Les retours des pratiquants ont confirmé sa première impression et validé sa stratégie. «Des férus qui ont emprunté l'itinéraire m'ont dit qu'il s'agissait plutôt d'un niveau de difficulté D, et ceux qui étaient moins aguerris trouvaient que la cotation D+ était justifiée. Dans tous les cas, aucun grimpeur n'est resté bloqué au milieu.»
La surcotation suffira-t-elle à décourager les imprudents? Lionel, adepte de 36 ans, ne le croit pas.
Des grimpeurs ne reculent devant rien, au risque de faire n'importe quoi. A Saillon, par exemple, des ferratistes empruntent le parcours même quand il est fermé, si bien que la commune s'est résolue à enlever le pont de singe en hiver.
Jessica (34 ans), ferratiste amateur, prévient: «Une chute peut être très grave, voire mortelle». Les mésaventures se multiplient. Le Club alpin suisse avait recensé une augmentation de 138% des accidents en 2020. «Plus que n'importe quelle autre discipline de montagne», décrivait le bulletin annuel, soulignant que «divers novices ambitieux ont sans doute sous-estimé les exigences spécifiques» à la pratique.
On les reconnaît principalement à leurs chaussures, à leur écoute sélective et au bruit qu'ils font en partant.