Des stars du ski alpin continuent de se retirer. Le dernier en date: Mauro Caviezel, fraîchement retraité après une énième boîte à Lake Louise en novembre dernier. Plus tôt dans la saison, Beat Feuz (après les épreuves de Kitzbühel) et Matthias Mayer ont préféré arrêter les frais. Leur départ dit beaucoup de la façon dont les skieurs vivent leur métier.
Mayer et Feuz ont dit «stop» juste après la reconnaissance du tracé de Bormio pour l'un et de celui de Lake Louise pour l'autre. Valeureux et victorieux après avoir dompté les pistes les plus difficiles, ils sont les deux champions olympiques en titre en vitesse. Le Bernois a conquis l'or dans la discipline reine, alors que Mayer est sorti «doré» du super-G à Pékin.
Mais les médailles, c'est derrière, la flamme olympique et le feu sacré sont désormais éteints. Feuz expliquait que la famille était le plus important, que le ski était passé en second plan. Il était au bout du rouleau physiquement, ses genoux étaient entamés et son corps grinçait. Alors en marge de la descente de Bormio, il a dit tout haut ce qu'il ressentait au plus profond de lui-même:
Ce légendaire feu sacré s'est éteint aussi spontanément dans le regard de Matthias Mayer que dans celui de Beat Feuz. La Kronen Zeitung parlait d'un tremblement de terre après son annonce. «"Mothl" (réd: le surnom de Mayer) ne nous dit rien», écrivait l'ancien skieur et chroniqueur Stefan Eberharter, dans les colonnes du quotidien autrichien. Pourquoi partir si vite? Pourquoi s'en aller alors que l'Autrichien était encore au top niveau? Même sa femme n'en savait rien.
«Je n'ai plus de mordant», confiait Mayer à la chaîne ORF. Eberharter, toujours dans Kronen Zeitung, se montrait perplexe et décrivait «que le feu en vous doit brûler si vous vous astreignez à la préparation estivale, surtout les voyages en Amérique du Sud». Mais l'ex champion autrichien fait un pas de côté et concède:
Tout comme Beat Feuz, Matthias Mayer n'avait peut-être plus l'instinct pour tendre les lignes et gratter les centièmes. Fini, basta, il n'avait plus la force de mettre un dossard et se lancer tel un bolide sur une pente verglacée. La dangerosité de Bormio a mis du plomb dans la tête de l'Autrichien, conscient que sa faculté à débrancher le cerveau était désormais obsolète. La Streif (remportée en 2020) ne le fait plus rêver, c'est désormais du passé.
A l'époque, il avait l'intention de se retirer après l'or olympique de Pékin. Mais «le feu brûle toujours beaucoup», déclarait Mayer. Cette fois-ci, il est bel et bien éteint.
Des propos et des décisions qui reviennent comme un refrain. Il y a le temps qui fait son oeuvre; il y a des jours qui trouvent la lumière (les victoires) et le temps des sentiments. Les perspectives changent et une préparation estivale, les heures d'entraînement, des sacs et des paires de ski sur le dos, et les tonnes de sueur déversées n'arriveront jamais à contrer la tête.
Hermann Maier s'était coltiné la préparation estivale, après une arthroscopie réussie, et avait retrouvé ses pleines capacités physiques. Mais «Herminator» n'avait plus la force mentale pour dépasser ses propres limites pour batailler tout devant.
Pour un sportif, lambda ou professionnel, la motivation personnelle lui vient s'il est maître de son comportement. Une autre étoile de l'équipe autrichienne s'était également arrêtée spontanément, après la préparation, conscient lui aussi de ne plus être capable de réussir à se surpasser sur les lattes. Lui non plus n'avait plus la tête au ski après des entraînements estivaux réussis: Benjamin Raich, la légende de la fédé autrichienne, en avait encore sous le capot. Mais trop, c'est trop.
Pour les grands champions, les recettes magiques ne sont pas nombreuses: il faut ce fameux feu sacré et l'alimenter, cette passion intacte à repousser ses limites sans cesse et compter sur un moral d'airain. La souffrance comme compagnon d'entraînement, la quête de la perfection comme gommette, ces champions se focalisent sur la performance et tous les détails susceptibles d’y contribuer, une vision unique en forme de long tunnel psychologique qui pourrait même relever de l'état de folie passagère.
A l'instar des Mayer, Feuz et consorts, la folie de deux minutes de course n'en vaut plus la peine, le temps a définitivement éteint les lumières des projecteurs pour faire place à celle de la raison. L'ombre de l'anonymat possède aussi ses vertus.