C'est un transfert que le Lausanne Hockey Club annonce fièrement, voire triomphalement, et que de nombreux supporters accueillent un peu comme le retour du Jedi. Ce transfert-là, pourtant, n'a rien d'une surprise: 24 Heures l'a révélé en septembre déjà, lorsque Théo Rochette a donné son accord de principe (lire l'article).
Théo Rochette est de retour au LHC 🔴⚪️
— Lausanne Hockey Club (@lausannehc) April 26, 2022
Le jeune attaquant Théo Rochette (20 ans) s'est engagé pour une durée de deux ans avec les Lions du LHC !
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Entre l'extase des uns (à Lausanne) et la consternation des autres (au Québec), toutes les parties semblent troublées, ou font semblant (ce que l'on appelle un faux-semblant). C'est beaucoup d'ambiguïtés pour un seul transfert, de surcroît pour un jeune homme de 20 ans.
Le Journal du Québec prétend que l'annonce du LHC «a surpris l’organisation des Remparts», le club de Théo Rochette en Ligue junior majeur du Québec. Les dirigeants «ont appris la nouvelle en même temps que tout le monde», soutient le journal canadien, tandis que ni le joueur, ni l'entraîneur Patrick Roy n'ont souhaité s'exprimer, le second faute d'«éléments» - comme pour ajouter à l'ambiguïté.
Un agent actif sur les marchés suisse et nord-américain pense que la réaction du club est purement politique. «Patrick Roy était parfaitement au courant. S'il affirmait qu'il savait tout et qu'il a gardé nouvelle pour lui, il passerait pour un traître. Théo Rochette est un garçon bien élevé, il n'a pas dissimulé ses intentions pendant sept mois.»
Ce transfert semble également entouré d'une forme de déni, sinon d'une blessure narcissique que les plus meurtris peinent à cacher. TVA Sports va jusqu'à contester le départ de Rochette:
Selon TVA Sports, l'annonce du LHC est d'abord une opération marketing: le club tenait à officialiser le transfert rapidement, histoire de dynamiser sa campagne d'abonnements, mais dans les faits, Théo Rochette n'y mettra peut-être jamais les patins.
Une «clause échappatoire» (selon l'expression québécoise) permettrait au Lausannois de «contrôler sa destinée» et de rester en Amérique du Nord s'il était drafté par une organisation de NHL. L'article précise:
Une question demeure: Rochette peut-il être repêché cet été après avoir échoué à un susciter de l'intérêt en 2020 et 2021? Son entraîneur en est persuadé, à moins que ce ne soit encore une manoeuvre politique.
Patrick Roy défend farouchement son joueur, mais d'autres voix en Amérique du Nord rappellent qu'une troisième draft profite rarement aux «invendus» dépossédés de leur attrait premier, comme n'importe quel pullover ou tranche de porc marinée après deux rabais successifs.
Personne n'oublie non plus que certains champions ont échappé à la sagacité des recruteurs, et que Théo Rochette pourrait encore signer comme agent libre dans un club de NHL, très certainement avec un contrat «2 ways» qui l'enverrait d'abord en American Hockey League (AHL), voire en East Cost League (ECHL, la troisième division). Très éventuellement au LHC.
Reste une ultime voie subsidiaire: selon toute vraisemblance, Rochette recevra plusieurs invitations cet été pour participer à des camps de NHL, où il sera évalué (comme l'an dernier à Toronto). Rien ne l'empêche de répondre aux sollicitations du LHC dans l'attente d'une ouverture outre-Atlantique.
A ce jour, l'attaquant termine une brillante saison aux Remparts de Québec, dont il est le meilleur passeur (32 buts, 62 assists en 64 matchs), l'élément central et le capitaine. A 20 ans, il y est certes aussi «un petit Tanguy», «un vétéran», selon la terminologie officielle québécoise, avec deux ans de plus que la majorité de ses coéquipiers et adversaires. Mais la Ligue majeur junior du Québec n'est pas un championnat de centre aéré: «Les Remparts mettraient au moins dix buts d'écart à la meilleure équipe suisse du même âge», avance notre agent canado-suisse.
Dernière ligne droite pour les Remparts de Québec qui se battent avec Charlottetown pour l’obtention du Trophée Jean-Rougeau!
— Olivier Droz (@OliDroz) April 25, 2022
Théo Rochette n’est pas innocent à ce succès avec sa saison de 93 points…
Encore 3 matchs avant de connaître l’épilogue.
L'expert estime toutefois que dans un premier temps, Théo Rochette ne sera pas un grand renfort pour le LHC, «pas avant 12 à 18 mois, car il n'a jamais joué dans une ligue d'hommes. Pour sa progression, je lui conseillerais de commencer à Sierre, dans le club partenaire, avec un rôle important au sein d'un trio offensif et sur le power-play. Je ne suis pas convaincu que dans l'immédiat, la National League soit parfaitement adaptée à son expérience et sa morphologie. Mais ce n'est pas à moi d'en juger.»
Les journalistes québécois s'accordent à écrire que Théo Rochette possède une bonne main, une excellente vision du jeu, mais qu'il n'aime guère «aller où ça brasse». Est-ce la raison de ses échecs à la draft? Ce n'est qu'une supposition largement répandue. «Toujours est-il que si les supporters lausannois s'attendent à voir débarquer Austin Matthews (réd: l'un des meilleurs joueurs du monde, venu passer une saison à Zurich pour s'aguerrir), il y a erreur sur la personne», prévient notre agent.
Sportivement, Théo Rochette n'aurait aucun bénéfice à tirer d'une nouvelle saison en Ligue majeure junior. Plus encore financièrement: bien que professionnels, les joueurs y sont payés au lance-pierre, avec un barème qui n'excède guère les 50 dollars par semaine. C'est du bénévolat et de la mise en vitrine.
Le salaire de Rochette au LHC n'est pas connu, mais plusieurs sources l'évalue aux environs de 200 000 francs la saison, une somme que le centre devrait diviser par quatre s'il évoluait en AHL, et par huit s'il terminait en EHCL. Face à ces perspectives diverses et variées, sa famille n'oublie pas qu'il possède deux passeports, et donc autant «d'échappatoires» possibles.
Au Canada, le fils soigne ses stats, et papa sa réputation. Ancien arbitre de LNA, aujourd'hui consultant vedette à My Sports, Stéphane Rochette rappelle dans un «balado» (la traduction québécoise de «podcast») combien son fils est «très québécois dans sa façon de vivre», qu'il a «une copine là-bas», qu'il vit heureux; bref, cliché de la famille Ricoré en mode lait de cachalot et sirop d'érable. Stéphane Rochette conclut dans le fameux balado: «Je pense que s’il a une offre en Amérique du Nord, il pourrait être tenté.»
Au LHC, fiston dit «sa hâte de découvrir la Vaudoise aréna, et de jouer devant son fantastique public». Il y sera accueilli comme un enfant prodige; à condition bien sûr d'y jouer. La situation, si elle trouble de part et d'autre de l'Atlantique, est en réalité très simple: en bon buteur, Théo Rochette reste à l'affut de la moindre occasion. Ses employeurs, ses fans, ses entraîneurs auraient mauvais jeu de le lui reprocher.