Officiellement, Djokovic n'a pas de position arrêtée sur le vaccin. Tout simplement parce qu'il refuse de s'en ouvrir publiquement.
Mais en 2020, le Serbe n'avait pas caché qu'il s'opposerait à toute ingérence dans son corps, de quelque nature que ce soit – une réflexion intéressante pour ceux qui le suspectent de dopage. L'un de ses proches collègues nous le confirme aujourd'hui:
Ce choix peut paraître contestable, désespérément obtus, et enfreindre le devoir d'exemplarité que certains milieux (politiques ou éducatifs) prêtent aux sportifs d'élite. Mais ce qui a valeur d'exemple pour les tenants de la vaccination n'a aucune espèce de légitimité pour Novak Djokovic – et des millions d'autres citoyens dans le monde.
C'est d'abord une question de principe, comme le Serbe l'a confié au début de la pandémie: «Je ne vois pas de quel droit on nous forcerait à nous vacciner pour voyager.»
Sous des dehors impulsifs, un peu caille-ra, Novak Djokovic est un homme de convictions, qui lit et réfléchit beaucoup. Ses opinions sur le vaccin ne sont pas des raideurs puritaines, encore moins des postures intellos: elles reflètent sa vision de la société où les croyances personnelles (davantage encore que les libertés individuelles, peut-être) sont inviolables. Or lui ne croit qu'aux plantes et au destin (pour résumer brièvement).
Cette image assez fleur bleue peut paraître en contradiction avec le peu d'humanité que Djokovic manifeste sur le court, et que les foules du monde entier, aujourd'hui encore, lui dénient massivement. Mais pour mieux saisir les méandres de sa personnalité complexe, il faut l'observer dans un autre contexte, hors caméra. Par exemple un vendredi soir chez Macy's, à New-York, en train de distribuer des hugs à la moitié de la ville et papoter avec une vieille dame sans barrière ni garde du corps: «Oui, tout va bien, j’ai traversé des mois compliqués mais peut-être que vous aussi?»
Ce corps n'est pas seulement son outil de travail, son bien le plus cher. «Il est devenu sa religion», explique joliment L'Equipe. Au début de sa carrière, des problèmes de santé l'ont orienté vers des doctrines parallèles: jamais un tennisman n’a façonné son corps de façon aussi méthodique et innovante, tout en puisant sa force dans des courants de pensée séculaires (bouddhisme, thérapies japonaises, etc).
En 2009, Novak Djokovic arrive au sommet. Mais il souffre d’une déviation de la cloison nasale et, après de longs échanges, il n'arrive plus à respirer. Il n'a aucune endurance. Il ne montre aucune résistance à la chaleur. Il est pris de vertiges. Son corps, dans les situations de stress, a des réactions bizarres.
Davantage que renoncer aux pizzas de son enfance, Djokovic entreprend un changement complet. Il pèse et dissèque tout ce qu’il mange. Il se nourrit presque exclusivement de plantes, ou tout ce qui vient du sol: légumes, fruits, graines, riz, thé. Il boit énormément de vitamines et de sels minéraux. Jamais une goutte d’alcool pendant un tournoi. Jamais de télévision en mangeant. Jamais d’eau fraîche pendant les matchs, car elle reste plus longtemps dans l’estomac.
Histoire de nourrir sa légende, des collègues ont rapporté qu’il comptait ses feuilles de laitue, une exagération dont Djokovic s’amuse. Mais la réalité est là, sous 72 kilos bien pesés: de son petit corps malade, le champion a fait une mécanique de haute précision. Un parfait alliage d’endurance, d'élasticité et d’explosivité. Une force de la nature. Une prouesse athlétique. Un petit chef d'oeuvre qu'il entretient à grand-peine, à chaque instant de son existence; un bien trop précieux pour qu'une substance plus ou moins notoire, sortie d'un laboratoire, ne vienne l'altérer.
Djokovic a décidé un jour que l’amour serait roi et que ses tenues seraient bleues, comme la fleur. Depuis 2016, il parle au soleil et ne porte que des couleurs qui lui rendent grâce, des couleurs éclatantes.
Catholique pratiquant, Il a développé une activité spirituelle très intense: yoga, méditation, hypnose, pleine conscience. Ou encore le «shirin yoku», littéralement «bain de forêt», une pratique japonaise qui consiste à errer dans les bois et à enlacer des troncs.
Ses problèmes personnels, en 2018, l'ont conforté dans ces voies impénétrables. Il a vécu dix-huit mois d'une déprime plus ou moins avouable, à sonder son âme et recoller les morceaux avec Madame. Dix mois à embrasser les arbres et épouser les thèses d’une mouvance «peace and love», peut-être même une secte, dirigée par un vendeur de câlins patenté, une sommité de l'accolade, «un gros baratineur bien naze et bien bronzé», selon d'autres voies voix, appelé Pepe Imaz.
Après tant d'efforts, autant d'introspections, une telle connaissance de soi, Djokovic revendique des raisons de refuser le vaccin. Chacun jugera si ces raisons sont bonnes ou inappropriées. Mais personne ne pourra nier qu'elles sont profondes. Qu'elles viennent du corps.