Le Qatar aurait espionné Cassis et Berset
Des journalistes, des avocats, des politiciens, mais aussi Michel Platini, ont été les cibles de hackers. Ces pirates informatiques auraient agi sous mandat du Qatar pour protéger la réputation de l'émirat dans le cadre de la Coupe du monde 2022, révèle une enquête publiée dimanche dans le Sunday Times.
Les personnalités visées doivent cet «honneur» à leurs enquêtes ou prises de positions critiques sur l'attribution et l'organisation de la Coupe du monde au Qatar. L'événement doit commencer le 20 novembre sur fonds de polémiques et d'appels au boycott.
Le pays est notamment mis en cause pour le traitement des travailleurs sur les chantiers liés et le non-respect des droits des femmes et des personnes LGBT. Parmi les cibles des hackers se trouvent des personnalités diverses:
- des journalistes d'investigation, donc celui du Sunday Times Jonathan Calvert, qui avait enquêté sur les manoeuvres de corruption ayant mené à l'attribution de la Coupe du monde au Qatar en 2010.
- une sénatrice française, Nathalie Goulet, qui avait accusé le Qatar de financer le terrorisme islamique.
- l'avocat américano-hongrois, Mark Somos, qui avait déposé plainte contre la famille royale du Qatar devant le Haut conseil des Nations unies pour les droits de l'homme.
- l'ancien président de l'UEFA, Michel Platini, grand défenseur de la candidature du Qatar. Le hacking aurait eu lieu peu avant l'ouverture d'une enquête sur les soupçons de corruption dans l'attribution de la Coupe du monde.
- Ignazio Cassis et Alain Berset auraient été ciblés en mai, après une rencontre entre le président de la Confédération et le premier ministre britannique de l'époque Boris Johnson, affirment Le Matin Dimanche et la SonntagsZeitung, relayant les informations du Sunday Times. Les discussions avaient notamment porté sur les sanctions contre la Russie. Contactés par Keystone-ATS, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) et le Centre national pour la cybersécurité (NCSC) n'ont pas souhaité commenter l'affaire.
Selon les données récupérées par le Sunday Times et le Bureau of Investigative Journalism cette année, c'est à partir de 2019 qu'ont débuté ces opérations de piratage des boîtes mails ou de prise de contrôle à distance des micros et caméras des ordinateurs d'une cinquantaine personnalités, réalisées par un groupe de hackers indiens.
«L'enquête indique clairement que le client (des hackers) est l'hôte de la prochaine Coupe du Monde: le Qatar», écrivent les journalistes.
Le recours au groupe indien de hackers aurait été fait par l'intermédiaire d'anciens officiers de police ou du renseignement britanniques travaillant désormais dans le secteur privé.
Des avocats du gouvernement qatari, interrogés par le journal, ont démenti l'implication du Qatar dans cette vaste opération de hacking.
Au-delà du Qatar, l'enquête du Sunday Times révèle de nombreux autres cas de hacking de personnalités réalisées par le même groupe indien, pour le compte de cabinets d'avocats anglais, de régimes autocratiques.
Des supporters «achetés»
Nuits d’hôtel, billets de match, cartes Visa prépayées… Le comité d’organisation du Mondial a invité des centaines de supporters du monde entier au Qatar, les incitant à publier des commentaires positifs sur le pays hôte. Une offre refusée par certains, gênés par la démarche. Plusieurs témoignages et documents consultés par l’AFP mettent en évidence les détails d’une opération massive de communication visant les fans, lancée il y a deux ans par les organisateurs de l’événement.
Blogueurs, influenceurs, supporters actifs, responsables d’associations. À partir de 2020, de nombreuses personnes sont démarchées dans le cadre d’un programme officiel qui leur propose de devenir «Fan Leaders», sorte de représentants du Mondial auprès des supporters et de porte-parole des fans auprès des organisateurs.
«Ils devaient faire leur promotion en devenant les influenceurs des supporters français, vendre auprès d’eux cette Coupe du monde au Qatar», explique à l’AFP Fabien Bonnel, porte-parole des Irrésistibles Français, un groupe de supporters contacté en 2021.
Si une telle opération n’est pas anormale dans les grands événements sportifs et culturels, elle suscite le malaise auprès des supporters européens. «Une chose est sûre, beaucoup ont refusé ces propositions très éloignées de la culture du supportérisme», assure Ronan Evain, du réseau Football Supporters Europe (FSE). Mais d’autres rentrent dans le jeu, «principalement des influenceurs Tik Tok et autres.»
Plus de 450 fans de 59 nations y ont collaboré, explique le comité d’organisation, assurant qu’il ne s’agit pas d’un «stratagème illicite, consistant à payer des supporters invités en échange d’une promotion coordonnée». Il s’agit d’un «rôle volontaire et non rémunéré», «sans aucune obligation de partager des contenus fournis par le comité», insiste-t-il. (afp/chd)
