«L’athlétisme suisse est à son apogée»
Sebastian Coe, à quoi ressemble votre programme sportif personnel?
Je m’entraîne toujours quotidiennement et je prends généralement un seul jour de repos par semaine. Je veille à varier autant que possible les séances. Trois à quatre fois par semaine, je fais de la course à pied. Les autres jours sont consacrés au renforcement musculaire. En plus, je joue régulièrement au tennis. J’adore ce jeu. Je ne suis pas Roger Federer, mais je me débrouille sur le court.
A bientôt 69 ans, qu’est-ce qui n’est plus aussi facile qu’avant?
Beaucoup de choses. Si ce n’était pas le cas, je m’inquiéterais sérieusement. Le jour où je me réveillerai sans aucune douleur sera probablement le jour de ma mort. Malgré cela, je continue de penser que m’entraîner est autant vital pour l’esprit que le corps. Je m’entraîne très tôt le matin, avant de commencer ma journée de travail.
Y a-t-il encore des choses que vous aimeriez accomplir sur le plan sportif?
Je ne me fixe plus d’objectifs précis. Je m’entraîne et je joue simplement par plaisir, et parce que ça me fait du bien mentalement.
Parlons de l’athlétisme suisse. Comment jugez-vous son évolution?
Je crois que Swiss Athletics fait partie des cinq fédérations qui ont le plus progressé au cours des dix dernières années. L’athlétisme a toujours été un sport fort en Suisse, avec des athlètes exceptionnels. Mais la densité actuelle, alliée à l’organisation de haut niveau assurée par la fédération et les entraîneurs, atteint selon moi un niveau inédit dans l’histoire. Je veux aussi souligner le rôle du président, Christoph Seiler. J’aimerais que toutes nos fédérations nationales puissent bénéficier d’un leader comme lui.
Christoph Seiler appréciera.
La Suisse a eu des figures comme Werner Günthör ou André Bucher. Mais aujourd’hui, elle compte des sprinteurs et des sprinteuses impressionnants. Lors de la Diamond League, nous avons également assisté à des victoires suisses en saut en longueur et sur 800 mètres. Nous avons vu du très haut niveau au javelot. La Suisse possède une profondeur de talents remarquable.
Cela laisse entrevoir de belles choses pour les Mondiaux, qui auront dorénavant systématiquement lieu à la mi-septembre. Quels bénéfices peut-on tirer d’une date aussi tardive?
Juste pour clarifier les choses: notre objectif n’est pas d’organiser systématiquement les Championnats du monde à la mi-septembre. Nous avons réaménagé le calendrier, car nous pensons qu’il est plus logique que la saison se termine par les Mondiaux. Pour beaucoup, notamment nos spectateurs, cela semble plus cohérent que l’ancien format, qui plaçait le sommet en plein milieu de la saison. Cela prêtait à confusion.
Mais les athlètes ne sont-ils pas fatigués en fin de d'été?
J’ai parlé à Zurich avec Karsten Warholm. Il m’a dit que cette option lui convenait parfaitement. D’abord la finale de la Diamond League, ensuite le stage et la préparation pour Tokyo.
Vous laissez quand même entendre que les Mondiaux pourraient être réavancés à l’avenir.
La fenêtre temporelle des Championnats du monde reste globalement la même: entre la dernière semaine de juillet et la première semaine d’août. Si nous avons déplacé les Mondiaux de Tokyo en septembre, c’est en raison des conditions météorologiques extrêmes en plein été. Il s’agissait avant tout de protéger nos athlètes. Vous vous souvenez peut-être que les Championnats du monde 2019, à Doha au Qatar, avaient été repoussés en octobre. Nous ne prévoyons pas de programmer systématiquement les Mondiaux en septembre.
Mais comment tout cela peut-il fonctionner? Organiser des Championnats du monde après la finale de la Diamond League, sans pour autant basculer systématiquement en septembre? Les meetings de Lausanne et Zurich, eux, ont traditionnellement lieu à la fin du mois d'août. L'équation semble délicate.
Ce n’est pas à moi de décider à quelles dates les directeurs choisiront d’organiser leur meeting. Ils se réuniront dans les prochaines semaines pour établir ensemble le calendrier 2026 de la Diamond League. Ces choix dépendent aussi de facteurs locaux, qui varient d’un lieu à l’autre. Il y a de nombreux paramètres à considérer. Mais je sais que les efforts actuels pour conclure la saison avec les Championnats du monde les amènent eux aussi à réfléchir à la programmation. De notre côté, avec mon équipe, nous réfléchissons à la manière d’allonger la saison dans son ensemble. Je suis convaincu qu’il est essentiel, à l’avenir, de multiplier les occasions de mettre en valeur les stars de notre sport, plutôt que de tout concentrer entre la fin mai et le début du mois de septembre. Une saison aussi courte n’est pas suffisante pour un sport professionnel.
Vous avez récemment souligné le potentiel de l’athlétisme en Asie. Pourquoi ce continent est-il si important pour vous?
L’Asie représente un immense marché inexploité. L’athlétisme suscite un grand intérêt en Chine. Le Japon accueille également de nombreux événements de notre calendrier, et plusieurs de nos sponsors sont des marques japonaises. Je regarde aussi du côté du marché indien. L’Inde compte plus de 1,4 milliard d’habitants, dont 300 millions font partie de la classe moyenne. Les succès du lanceur de javelot Neeraj Chopra ont éveillé l’intérêt des Indiens pour l’athlétisme. Et puis, j’ai moi-même des racines indiennes.
Et quand les Championnats du monde auront-ils lieu en Afrique?
Je tiens à rappeler que plusieurs compétitions mondiales ont déjà eu lieu en Afrique sous mon mandat: les Mondiaux de trail, ainsi que les Championnats du monde U18 et U20 organisés au Kenya. L’année prochaine, les World Relays se tiendront au Botswana.
Mais pour ce qui est de votre événement phare: les Mondiaux élites?
Je sais que la Confédération africaine étudie activement quelles villes pourraient être proposées pour une candidature. En tant que sport mondial, il est essentiel de reconnaître l’immense contribution de l’Afrique. Mais nous sommes aussi conscients qu’organiser des Championnats du monde sur ce continent nécessite une approche différente. World Athletics fait preuve de souplesse et reste pleinement disposé à examiner une candidature solide en provenance d’Afrique.
De l’Afrique au changement climatique, il n’y a qu’un pas. De nombreuses régions du monde sont appelées à connaître des conditions météorologiques difficiles, peu propices à la course, même en septembre. Comment s'adapter à cette réalité ?
Je ne parle pas ici en tant que président de World Athletics. Le changement climatique est un problème, et je ne suis pas sûr que le monde ait pleinement pris conscience de l’ampleur de ce à quoi nous sommes confrontés. Les bases mathématiques et scientifiques sont indiscutables. Nos océans se réchauffent mois après mois. Les températures ambiantes augmentent. Le défi devient de plus en plus grand. Et ce qui m’inquiète, c’est le fait que, ces deux ou trois dernières années, les grandes entreprises ont commencé à réduire fortement leurs engagements. Les gouvernements aussi sont en train d’assouplir leurs objectifs. Voici à quoi ressemble la carte actuelle.
Cela sonne comme de l’impuissance. Que peut faire une fédération sportive dans ce contexte?
Nous avons interrogé nos propres membres: près de 80% reconnaissent que le changement climatique a des conséquences dramatiques sur leur saison. Ils veulent que nous agissions. Je suis très heureux de pouvoir le faire en tant que président de World Athletics. Vous savez, j’ai moi-même été un athlète, mais à une époque plus simple. Aujourd’hui, nous constatons que certaines régions du monde ne peuvent plus accueillir nos épreuves d’endurance dans de bonnes conditions. Cela concerne aussi l’Europe. Par exemple, si les Jeux Olympiques de Paris avaient eu lieu à la même date un an plus tôt, les températures auraient atteint 44 degrés. Nos équipes médicales et scientifiques surveillent très attentivement les conditions à Tokyo.
Mais concrètement, comment comptez-vous les protéger?
Nous abordons le sujet de manière très pragmatique. Par exemple, nous avons la possibilité d’avancer l’heure du marathon. Nous l’avons déjà fait à plusieurs reprises. Mais bien sûr, ce n’est pas une réponse à votre question. Lors de ma candidature à la présidence du CIO, j’ai dit que le sport mondial et le Comité international olympique devaient travailler ensemble pour repenser le calendrier sportif. Il sera difficile d’exiger de nos athlètes qu’ils participent à une course ou à un marathon dans certaines conditions. Peut-être faudra-t-il, à l’avenir, envisager d’organiser ces compétitions dans différentes zones, ou à d’autres périodes de l’année. C’est une réflexion nécessaire. Nous faisons tout pour créer les meilleures conditions possibles, en surveillant de près la météo et en garantissant un soutien médical optimal, que ce soit sur la piste ou sur la route. Nous avons également mis en place une stratégie de durabilité sur dix ans, que nous prenons très au sérieux. Elle inclut, par exemple, l’élimination du plastique lors des événements ainsi qu’une réduction des déplacements durant la saison.