Les coureurs qui participent aux quelque 150 épreuves organisées chaque année à Paris avaient pris l'habitude de trouver des bouteilles d'eau aux différents points de ravitaillement. La mairie a fait le calcul: 20 tonnes de bouteilles en PET sont ainsi utilisées chaque année sur les courses de la capitale française. Un chiffre inquiétant, quand on sait qu'il «faut réduire l'usage du plastique à usage unique dans notre quotidien», ainsi que l'a rappelé cette semaine Pierre Rabadan, adjoint à la mairie de Paris en charge du Sport.
Pour que la course à pied participe à l'effort collectif, M. Rabadan a décidé d'agir.
L'interdiction est entrée en vigueur lundi dernier, et on imagine qu'elle concernera bientôt toutes les autres courses disputées chez nos voisins.
Pour remplacer les bouteilles individuelles, les organisateurs des épreuves parisiennes proposeront des gobelets réutilisables. «La mairie en a acheté 100 000 pour les prêter aux organisateurs, si besoin», précise L'Equipe, ajoutant que ces gobelets pourront être remplis grâce à des rampes à eau (une succession de robinets alignés côte à côte) notamment.
Cette façon de procéder existe déjà en trail, où la plupart des athlètes remplissent leur propre gobelet flexible, léger et réutilisable. Les coureurs sur route s'y mettront-ils? C'est possible, pour autant que cela ne les pénalise pas trop fortement.
En trail, en effet, les coureurs ont le temps de s'arrêter pour se ravitailler. Cette mini-pause leur permet de souffler entre deux montées et de reprendre leurs esprits. C'est bien différent sur le bitume, où le dénivelé est presque inexistant. Les marathoniens n'ont qu'une idée en tête au ravitaillement: se rafraîchir le plus rapidement possible afin de ne pas laisser de précieuses secondes en route. La mairie de Paris a d'ailleurs annoncé que l'interdiction des bouteilles ne concernait pas les meilleurs athlètes mondiaux, mais on parle là d'une minorité.
Josette Bruchez ne verra donc plus de semi-remorques acheminer des dizaines de milliers de bouteilles aux points de ravitaillement du marathon de Paris. La directrice du marathon de Lausanne n'entendra plus non plus les coureurs français grincer des dents lorsqu'elle leur dira que sur sa course, on ne trouve pas de bouteilles d'eau.
Par le passé, les organisateurs du marathon de Lausanne trouvaient des bouteilles en PET plusieurs mois après le passage des athlètes, dans les vignes ou sur les rives du lac. C'est la raison qui les a poussés à ne proposer plus que des gobelets en carton biodégradables à leurs coureurs. Des points d'eau sont aussi disponibles sur le tracé afin que les marathoniens puissent remplir leur gourde. «Cela fait quinze ans au moins que nous fonctionnons ainsi», évalue Josette Bruchez, qui a fait ses calculs: 13'000 coureurs multiplié par le nombre de ravitaillements (11), vous imaginez le nombre de bouteilles qu'il faudrait pour satisfaire tout le monde? La réponse: 143'000.
La patronne de la course lausannoise depuis ses débuts en 1993 connaît bien les épreuves de running en Suisse. Elle a beau chercher, elle ne voit pas quels organisateurs continuent à distribuer des bouteilles en PET sur leur course. «On essaie de les éviter au maximum. Il y a des alternatives plus écologiques», renseigne l'ancien directeur d'une grande course romande. Comme les gobelets en papier que propose Sierre-Zinal.
A Genève, les organisateurs du marathon ont fait de l'eau un point clé de leur stratégie. Sa préservation est «un enjeu majeur que nous tenons à communiquer aux générations actuelles et futures», peut-on lire sur le site de la manifestation. On y apprend que depuis 2012, «le ravitaillement en eau des coureurs est réalisé avec l’Eau de Genève, ce qui permet de limiter les déchets sur la manifestation. D’excellente qualité, l’eau du robinet à Genève est jusqu’à 1’000 fois plus écologique que les eaux en bouteille. Sur les ravitaillements, plus aucune bouteille en PET n'est utilisée pour l’eau. Il y a uniquement des gobelets en carton.»
Peut-on imaginer, un jour, une autonomie complète du coureur? Celui-ci se présenterait sur la ligne de départ avec sa propre boisson et sa propre nourriture, prévues pour la totalité de son effort. Il rangerait ses déchets dans son sac (on en fait des minces et légers désormais), qu'il rapporterait ensuite chez lui pour les mettre à la poubelle. Il n'y aurait dès lors plus de ravitaillement.
La situation que nous décrivons, Josette Bruchez l'a vécue à Lausanne durant le Covid. «Nous avions organisé le marathon sur trois semaines. Les coureurs pouvaient parcourir la distance quand ils le souhaitaient, et puisqu'il n'y avait pas de ravitaillement, ils étaient en totale autonomie.»
Mme Bruchez estime toutefois que cette solution radicale ne peut être envisagée pour le moment. C'est aussi l'avis de Vincent Theytaz. «Les trailers ont besoin d'un service de boissons. Sur Sierre-Zinal, ils ne sont que 10% environ à amener leur propre gobelet réutilisable. Les autres s'arrêtent aux ravitaillements.» C'est aussi l'esprit de leur discipline (et des lieux) qui veut cela, songe le directeur de la course.
C'est tout l'enjeu des années à venir: trouver des solutions douces pour l'environnement et compatibles avec la façon dont les athlètes considèrent et pratiquent leur discipline.