Quand il est entré sur la pelouse, une heure avant le coup d'envoi, Mario Balotelli a tout de suite reconnu le stade de Saint-Gall, ses tribunes vertes et son seul anneau. «J'y avais joué en 2018 avec l'Italie», a-t-il dit à ses coéquipiers. Ce jour-là, l'international italien (36 sélections) avait ouvert le score et son équipe s'était imposée 2-1 contre l'Arabie Saoudite, en match amical et devant une foule de supporters italiens.
Le FC Sion a lui aussi gagné 2-1 samedi soir mais tout était différent pour le Transalpin, et pas seulement parce qu'il n'a pas marqué. Balotelli (entré en jeu à la 63e) a reçu un accueil nettement moins chaleureux dans ce stade occupé cette fois par des Saint-Gallois qui voient en lui l'incarnation d'un football dans lequel ils ne se reconnaissent pas.
La superstar italienne n'aurait jamais sa place dans l'équipe de Peter Zeidler car «nous faisons les choses différemment», souligne le coach alémanique, au risque de caricaturer: «Servette a frappé fort en vendant Imeri pour plusieurs millions, Steffen est parti à Lugano et Bâle a recruté chaque semaine un nom prestigieux. Nous, on a engagé Ricardo Alves, que personne ne connaît et qui était au chômage».
Le FCSG vise moins le coup d'éclat que la maturation d'une jeunesse qu'il croit dorée, comme Alves mais aussi Christian Witzig, un fils de pasteur sans expérience devenu titulaire dès sa deuxième saison chez les pros. La raison de cette stratégie est simple: d'abord, Saint-Gall n'est pas soutenu financièrement par un mécène comme Christian Constantin (c'est même tout le contraire, puisque les Verts ont décidé de vendre des actions aux supporters). Ensuite, l'engagement de grands noms est très loin de ses priorités.
De fait, le Kybunpark était encore ausverkauft samedi. Parmi les 18 579 fans, il y avait 11 000 abonnés, un chiffre incroyable pour un club qui n'est champion qu'une fois par siècle (1904 et 2000). Le FC Sion n'a pas su nous dire combien il avait de fidèles mais c'est forcément moins, puisqu'il tourne à 9200 spectateurs de moyenne depuis le début de saison.
Cet écart aussi est facile à comprendre. Les Sédunois peinent à s'exporter dans le Haut-Valais. Ils n'y ont joué que deux fois en quatre ans mais s'apprêtent à y retourner. Le FCSG, lui, se déplace partout où il a des soutiens. L'équipe rencontre ses supporters à l'OpenAir où lors de l'Espen On Tour, une tournée d'entraînements sur des terrains de la région. «C'est comme un défilé de mode», ironise un membre du staff. A Wängi (TG), la première équipe s'est produite cet été devant les pensionnaires d'une maison de retraite.
Cette proximité se cultive jusque dans les tribunes du stade les soirs de match. Samedi contre Sion, Matthias Hüppi avait pris place au milieu du public et Alain Sutter, le directeur sportif, a passé les dernières minutes de jeu à l'entrée d'une tribune, sous le regard médusé des autres spectateurs.
D'où venaient-ils, ces autres spectateurs? Un journal alémanique a posé la question au club. Il lui a demandé de lui communiquer les codes postaux de ses 10 500 abonnés la saison dernière. Signe de sa grande ouverture vers l'extérieur, le FCSG a accepté. Le public a ainsi appris que les fidèles verts provenaient de 316 communes du pays et, surtout, de pratiquement partout en Suisse orientale.
Un chant des supporters dit que Saint-Gall est soutenu du Rhône à la Sitter (une rivière du nord-est de la Suisse). Ce n'est pas tout à fait vrai, même si la cote d'amour pour l'équipe dépasse largement les frontières de la huitième ville du pays.
Cette ferveur loin à la ronde porte les joueurs, mais comme disent tous les footballeurs qui jouent dans des ambiances hostiles, «on a encore jamais vu le public marquer un but». Sinon, Saint-Gall aurait un meilleur goal-average et un peu plus d'avance au classement ce dimanche matin.
Ses moyens limités et son ambition dans la formation ne font pas de Saint-Gall un candidat au titre, au contraire de Sion qui a assez de talents dans son vestiaire pour poser des problèmes aux Young Boys et au FC Bâle. «Si tout se passe normalement, nous ne serons pas champions», concède Peter Zeidler, avant d'ajouter avec malice: «Mais parfois, tout ne se passe pas normalement».
Samedi, ses joueurs ont joué comme il le leur a demandé, vers l'avant et en misant sur l'intensité et la récupération rapide du ballon, mais ils ont perdu trop de duels à mi-terrain pour ne pas se faire punir par des joueurs aussi habiles et rapides que Chouaref (18e) et surtout Stojilkovic (28e), encore meilleur depuis que Balotelli le menace à son poste.
Ces deux équipes que tout oppose se rencontreront une nouvelle fois à Saint-Gall le 29 mai 2023. Ce sera le dernier match de la saison et on saura alors si tout s'est passé normalement en Super League. Ou pas.