Il y a plein de raisons d'aimer le Borussia Dortmund, ses talents en devenir, son prodige anglais (Jude Bellingham), son entraîneur né à 30 km du stade ou encore ce mur jaune qui se dresse dans la tribune sud chaque soir de match. Mais il y a une qualité supplémentaire que l'on oublie souvent d'attribuer au BVB et qui pourtant le distingue de nombreux autres clubs, c'est sa capacité à apprendre de ses erreurs. Car en 2005 – ce n'est pas si vieux, puisque Sergio Ramos jouait déjà en Ligue des champions – en 2005 donc, le Borussia ne recevait pas de clubs anglais en milieu de semaine; il luttait pour sa survie.
À cette époque, les Schwarzgelben sortent de dix années grandioses, ponctuées par une Ligue des champions (1997), trois titres nationaux (1995, 1996 et 2002) et une introduction en bourse (2000) – la première de l'histoire pour un club allemand. Grisés par le succès, les dirigeants réalisent alors des investissements colossaux et parfois extravagants. Le club, fondé dans les milieux ouvriers des aciéries Hoesch, vit au-dessus de ses moyens.
«Le stade est cédé à 75% à la Commerzbank, les droits de marketing de la marque BVB sont vendus à une compagnie d’assurance, ceux de certains joueurs sont échangés contre des prêts secrets auprès de magnats… On tente d’économiser le moindre centime», dresse le site Demivolee dans une sombre retrospective, rappelant que les dirigeants n'ont même plus assez d'argent pour payer les joueurs.
L'histoire (et les fans du Bayern) rappelle que c'est à cette période que les Munichois sont intervenus pour aider leur ennemi héréditaire. Ils lui ont octroyé un prêt de deux millions d'euros sans condition. Le geste du Bayern n'était pas dénué d'intérêt: il devait permettre au géant du sud d'asseoir politiquement sa domination sur le foot allemand et de conserver un rival attractif pour les saisons à venir. «Je ne regrette rien, dira plus tard Uli Hoeness, alors président du conseil de surveillance du Bayern. On a besoin de concurrence pour grandir. Dortmund nous oblige à nous remettre en cause.»
Malgré ce soutien financier, le Borussia Dortmund, presque centenaire, avoue en février 2005 que son «existence même se trouve menacée». Il vient de réduire la masse salariale du vestiaire et de laisser partir pour 11 millions d'euros l'international Torsten Frings au Bayern, mais ce n'est pas assez. L'été suivant, il perd Ewerthon puis Rosicky et Odonkor en 2006.
Ces départs marquent un tournant dans la Ruhr. Le club jaune et noir remodèle son approche et sa politique globale. Il ne cherche plus à attirer de grands noms qu'il paie chèrement, mais à produire un jeu attractif et offensif «grâce à des joueurs à fort potentiel de développement et, donc, susceptibles d'apporter une plus-value à la revente», résume Le Point. Les effets sont rapidement visibles: Dortmund réalise le doublé coupe-championnat en 2011 et atteint la finale de la Ligue des champions (perdue 2-1 face au Bayern) deux ans plus tard.
Ses résultats récompensent sa nouvelle politique. Lors des deux mercatos précédant son doublé (2009 et 2010), Dortmund avait intégré dans son équipe première des footballeurs aussi abordables et talentueux que Mats Hummels (21 ans), Lucas Barrios (25 ans), Mario Götze (18 ans/formé au club), Shinji Kagawa (21 ans) et Robert Lewandowski (22 ans).
Au fil du temps (et de ses bons résultats), le Borussia devient un expert de la plus-value, réalisant par exemple un bénéfice de 105 millions (!) en douze mois sur Ousmane Dembélé, acheté 35 millions à Rennes en 2016 et revendu 140 au FC Barcelone l'été suivant.
Les jeunes talents rêvent alors tous de Dortmund, qu'ils considèrent à juste titre comme un incroyable accélérateur de carrière. Des footballeurs comme Alexander Isak ou Raphaël Guerreiro refusent des offres plus séduisantes sur le papier pour s'établir dans la Ruhr, une région garnie de cheminées titubantes et de toitures en tôle.
La réputation de Dortmund ne gagne pas seulement les joueurs. Les dirigeants adverses aussi s'y intéressent. En 2013, alors président de l'Olympique de Marseille, Vincent Labrune entend baser le projet sportif et financier de son club sur celui du Borussia. L’achat puis la revente de jeunes talents français devient une priorité. L'OM recrute Benjamin Mendy, Mario Lemina, Giannelli Imbula, Florian Thauvin ou encore Michy Batshuayi. Le problème, c'est qu'il ne trouve pas d'entraîneurs capables de les faire grandir.
En neuf ans (2013-2022), Marseille accueille pas moins de dix entraîneurs différents. Sur une période équivalente (2008-2017), Dortmund n'en connaît que deux; deux personnalités — Jürgen Klopp et Thomas Tuchel — bien différentes dans le style et l'attitude, mais qui observent la même ligne de conduite en accueillant puis titularisant les jeunes. Cette double stratégie (recruter puis faire confiance aux espoirs) permet aux talents du centre de formation allemand (les Gotze, Sahin ou Pulisic) de se développer avec moins de pression qu'ailleurs, et d'atteindre leur pleine maturité avant de faire le grand saut dans l'élite.
Mais toutes ces belles intentions, ces plans savamment étudiés, ces calculs ciblés, seraient vains si Dortmund n'avait pas un directeur sportif de génie capable d'assurer la cohésion de l'ensemble. Or il en possède un. Son nom est Michael Zorc.
Originaire d'un quartier ouvrier de la ville, Zorc est un enfant du BVB. Quand il n'avait que 12 ans, il se rendait religieusement dans la Südtribüne avec une écharpe tricotée par sa grand-mère. Il est ensuite devenu milieu de terrain, disputant 463 matchs avec son club de coeur avant d'endosser le costume de directeur sportif.
Sa capacité à trouver de jeunes pépites et à les accompagner dans leur progression a tellement marqué le club qu'en 2012, lorsque Dortmund est devenu champion, Jürgen Klopp lui a rendu hommage. «Nous avons eu tellement de chance ces dernières années en prenant les bonnes décisions. Ce que Michael Zorc a accompli est incroyable.»
Zorc n'est plus le directeur sportif des Borussen depuis l'été dernier (il a été remplacé par Sebastian Kehl) mais il sera en tribune, ce mercredi soir contre Chelsea, pour savourer la courbe de croissance de ses jeunes talents, et mesurer tout le chemin parcouru depuis 2005.