Imaginez un instant que la Swiss Life Arena de Zurich soit fermée pour des raisons politiques et que les hockeyeurs et le public doivent déménager dans l'ancien Hallenstadion. Ce serait fou, non?! Eh bien, c'est exactement ce qu'il s'est passé à Helsinki.
La Helsinki Halli (autrefois appelée Hartwall Arena) était un magnifique et ultramoderne temple du hockey et du divertissement, mais la patinoire est aujourd'hui abandonnée et montre déjà des signes de délabrement. D'une certaine manière, c'est l'endroit le plus sinistre de la planète hockey. Cela explique pourquoi la Karjala Cup, qui réunissait ce week-end la Finlande, la Suède, la République tchèque et la Suisse, s'est jouée dans l'ancien Helsinki Ice Hall (Helsingin Jäähalli), inauguré en... 1966.
A la Helsinki Halli désormais, les mauvaises herbes poussent dans les fissures des dalles de béton. Il n'y a personne, les places de parking sont vides. Depuis quelque temps, l'électricité et l'eau sont coupées et l'on craint que l'arène ne subisse des dommages. Même le site web officiel de l'endroit (https://helsinkihalli.fi/) n'est plus accessible.
Comment se fait-il que dans l'une des capitales mondiales du hockey, une patinoire ultramoderne ait été fermée, et qu'elle tombe en ruine dans l'indifférence? C'est la guerre en Ukraine qui a tout changé. En 2014, Guennadi Timtchenko est devenu propriétaire majoritaire du site avec les frères Arkadi et Boris Rotenberg, tous trois oligarques russes. Mais l'éclatement du conflit sur le sol ukrainien a entraîné le blocage de toutes les activités commerciales russes en Finlande. Résultat: les propriétaires du Helsinki Halli n'ont plus pu payer de factures, ni encaisser d'argent.
La vente de la patinoire s'est également avérée impossible pour des raisons politiques. La ville d'Helsinki tente désormais de mettre fin au blocage par voie juridique, d'exproprier les propriétaires russes et de reprendre l'arène. Une procédure qui devrait encore durer au moins six mois.
Le Fribourgeois René Fasel connaît très bien cette triste affaire. L'ancien président de la fédération internationale fait aujourd'hui partie de la direction de la KHL (le championnat de hockey sur glace en Eurasie), dîne souvent avec Igor Larionov et s'occupe des arbitres dans la KHL. Interrogé sur ce qu'il s'est passé autour du temple du sport à Helsinki, il répond:
La fermeture de l'Arena a également provoqué un drame sportif, car c'est ici que le Jokerit Helsinki disputait ses matchs à domicile. Le sextuple champion national, qui a été la seule équipe finlandaise à passer en KHL en 2014, a été impacté économiquement par la guerre en Ukraine. Il est descendu en 2e division et son manager Jari Kurri, première superstar finlandaise de la NHL et multiple vainqueur de la Coupe Stanley, est tombé en disgrâce.
Il n'a pas répondu à nos appels, et ne décroche même plus le téléphone quand ses amis finlandais essaient de le joindre. Il paraît qu'il se terre dans la banlieue d'Espoo, aux portes d'Helsinki, mais d'autres disent qu'il se trouve en Espagne. C'est un peu comme si Roger Federer tombait en disgrâce chez nous et disparaissait.
La malchance de Jari Kurri est qu'il a personnifié le passage à la KHL en tant que manager de Jokerit, et qu'il a également fait partie de la direction de la KHL. Or le verdict de l'histoire est plus fort que la plus grande gloire sportive du pays: il y a un peu plus d'un siècle, la Finlande s'est battue pour obtenir son indépendance de la Russie, a banni le communisme au cours d'une guerre civile sanglante, puis a conservé son indépendance au cours d'une autre guerre contre l'Union soviétique.
Depuis que son voisin a adopté une politique belliqueuse, tous les liens avec la Russie ont une odeur de soufre. Les postes-frontières avec ce pays sont toujours fermés. La «Belle Epoque» est révolue, lorsque les touristes pouvaient faire une excursion d'une journée à Leningrad au départ de la gare d'Helsinki.
Mais revenons à cette patinoire laissée à l'abandon, car elle rappelle forcément des souvenirs aux Suisses. C'est en effet dans cette «arène fantôme» que nos juniors M20, coachés par Bill Gilligan et Alfred Bohren, ont décroché la première médaille de l'ère moderne, le 2 janvier 1998, en battant la République tchèque 4-3 après tirs aux buts lors du match de bronze. Un victoire qui a amorcé le retour de la Nati parmi l'élite mondiale et à laquelle a notamment participé le défenseur Julien Vauclair. Ce dernier fera même partie de l'équipe de Suisse des «grands» 15 ans plus tard, lors du Mondial en argent de 2013.
Mais c'est aussi à Helsinki que, le 12 mai 2012, une défaite 4-2 contre la France nous a coûté la qualification pour les quarts de finale du Championnat du monde.
Nous avons fait plusieurs fois le tour de la patinoire à pied ce week-end, avec le sentiment de visiter un lieu sinistre et hanté (une impression renforcée par le vide et le vent froid), mais tout espoir n'est pas perdu et on espère très vite revoir du hockey ici, un jour, dans un monde plus paisible.