Mikaela Shiffrin et Marco Odermatt nous ont tellement habitués à collectionner les victoires en écrasant leurs adversaires que nous sommes nombreux à avoir perdu la mémoire des chiffres, à tout le moins ce qu'ils représentent. Dans ce contexte, la joie avec laquelle Camille Rast a accueilli le premier podium individuel de sa carrière, samedi à Gorgl, est salutaire: elle nous rappelle ce que vaut une troisième place en Coupe du monde et ce qu'il faut de talent et d'abnégation pour la décrocher.
Un chiffre, parmi tous ceux qui sont énumérés chaque week-end comme s'ils étaient parfaitement normaux (les 99 victoires de Mikael Shiffrin, les 71 podiums de Marco Odermatt, etc.) témoigne de l'exploit réalisé par Camille Rast en Autriche:
La dernière fois, c'était Fränzi Aufdenblatten lors de la descente de Lenzerheide. La Zermattoise sait qu'un résultat dans les trois n'a rien d'anodin. «Je suis tellement heureuse pour Camille, a-t-elle réagi samedi dans Blick. Il faut que tout s’aligne parfaitement pour qu’un podium devienne réalité.»
Pour que «tout s'aligne», il faut bien sûr avoir de la chance. «Peut-être que la skieuse de Vétroz a eu pour la première fois ce soupçon de réussite qui lui manquait jusqu’alors», a d'ailleurs songé 24 Heures, ajoutant que l'absence de la redoutable Petra Vlhova (blessée) avait joué en faveur de Camille Rast.
Mais c'est surtout à elle-même que la Valaisanne doit son résultat. «Je l'ai eue plus d'une fois cette question: à quand le premier podium?», a raconté la jeune femme de 25 ans, suggérant en creux toute la pression qu'elle a dû surmonter à mesure que les saisons s'écoulaient et que le podium tardait à arriver. «Il faut continuer à travailler et à avancer sans trop se poser de questions, en poussant encore plus fort», lui avait demandé son entraîneur Denis Wicki. Le coach savait que le travail finirait par payer. «Le podium va arriver», prophétisait-il une semaine avant le slalom de Gorgl.
C'est donc arrivé samedi et c'était beau à voir. On a deviné, dans les déclarations et l'attitude de la Valaisanne, le même soulagement que celui qui avait escorté Justin Murisier sur son premier podium en Coupe du monde, il y a quatre ans à Alta Badia. Le géantiste valaisan avait mis 10 ans pour atteindre cet objectif. Il avait eu besoin de 109 départs pour enfin décrocher ce top 3 qui le fuyait, parfois pour quelques centièmes.
«Vous ne pouvez pas vous rendre compte comme cette troisième place me fait du bien, avait-il confié à La Tribune de Genève peu après sa brillante performance sur la mythique Gran Risa. Après quatre graves blessures au genou, des nuits d’hôpital, des heures de physio, des visites chez le médecin, j’en ai bavé, mais je me dis aujourd’hui que cela valait vraiment la peine de se battre.»
Les 3es places de Justin Murisier et Camille Rast doivent être analysées à la lumière de leur vécu personnel, et non des standards imposés par les cadors de leur discipline. C'est ce que Murisier demandait déjà en 2020 dans Le Nouvelliste: «Cette 3e place aurait fait une belle jambe à des Hirscher il y a quelques années, ou à des Pinturault aujourd’hui. Mais pour moi, elle signifie énormément.» Pour Camille Rast aussi.