Imaginez une Coupe du monde de football... sans public. Un scénario inconcevable. Et pourtant, à quelques heures du lancement de la première édition de la Coupe du monde des clubs à 32 équipes, cette crainte est bien réelle. La vente des billets pour le match d’ouverture entre l’Inter Miami et Al-Ahly, prévu dans la nuit de samedi à dimanche, a été si poussive que la FIFA a dû revoir ses prix à la baisse. Certains médias américains évoquent des tickets vendus à 50 dollars, contre 350 initialement.
Ce manque d’engouement illustre bien le climat autour de ce tournoi voulu par le président de la FIFA, Gianni Infantino. La compétition peine à s’imposer, et pas seulement chez les fans.
L’annonce du Real Madrid, il y a quelques mois, de participer au Mondial des clubs avec une équipe B, afin de permettre à ses stars de se reposer après une longue saison, a par exemple fait grand bruit. Que cette menace vienne précisément du club le plus titré en Ligue des champions n’est pas sans une certaine ironie. Car le Real fait partie des équipes qui pourraient tirer le plus grand profit des primes financières déployées pour l'événement.
La FIFA a mis sur la table une dotation totale de 900 millions d’euros pour les 32 clubs participants. Le vainqueur repartira avec 115 millions, et les formations recevront jusqu’à 33,5 millions d’euros de primes de participation, selon leur notoriété. Le plafond total est fixé à 125 millions pour des géants comme le Real Madrid. Un chiffre comparable à celui d’un titre en Ligue des champions.
Cette manne suscite de vives critiques. Certains considèrent qu’il s’agit d’une nouvelle étape dans l’aggravation des inégalités économiques et sportives du football mondial. Parmi les voix les plus influentes, on retrouve l'organisation European Leagues, représentant 40 championnats européens, présidée par Claudius Schäfer, également CEO de la Swiss Football League.
Dans un entretien accordé à CH Media, groupe auquel watson appartient, il dénonce: «Les montants distribués renforcent une polarisation déjà marquée dans le football de clubs. Cela affaiblit encore un peu plus l’équilibre compétitif de nos championnats».
Mais le problème ne se limite pas aux enjeux financiers. Les ligues européennes reprochent aussi à la FIFA d’avoir intégré cette compétition au calendrier international de manière unilatérale, sans consulter ni les ligues, ni les syndicats de joueurs. C’est pourquoi European Leagues, en collaboration avec FIFPRO Europe, a saisi la Commission européenne pour qu’elle enquête sur un éventuel abus de position dominante.
Claudius Schäfer insiste: «La FIFA ne peut pas ignorer sa responsabilité de régulateur mondial, tout en prenant des décisions qui ne servent que ses propres intérêts. Elle devrait impliquer les principaux acteurs du football, au lieu de lancer seule une compétition aux répercussions lourdes, notamment sur le calendrier des ligues et la santé des joueurs». Il poursuit: «Les ligues sont le socle du football. Elles ont été exclues du processus. Il est temps que la FIFA les invite à revenir à la table des négociations».
Les clubs déjà qualifiés, eux, ne partagent pas ces inquiétudes. Selon eux, ce tournoi ne modifie pas fondamentalement les rapports de force. Karl-Heinz Rummenigge, membre du conseil de surveillance du Bayern Munich, estime dans Die Welt: «Ce tournoi n’a lieu que tous les quatre ans. Même avec une prime de plus de 100 millions, cela ne fait pas de vous un géant du mercato».
Mais ce discours ne convainc pas tout le monde. Schäfer reste ainsi vigilant: «Aujourd’hui, la compétition est prévue tous les quatre ans».
Si la FIFA peut offrir de telles sommes, c'est grâce à la vente des droits télévisés. Le groupe DAZN a déboursé près d’un milliard de dollars pour les obtenir. Fait notable: un fonds d’investissement sportif saoudien, proche d’Infantino et lié à la Coupe du monde 2034, a récemment investi... un milliard de dollars dans DAZN. Une simple coïncidence? Pas vraiment, selon Der Spiegel.
Les pétrodollars saoudiens permettent donc à DAZN de jouer dans une autre catégorie. Mais cette logique fragilise d’autres compétitions, moins médiatiques. Claudius Schäfer parle d’un phénomène de «cannibalisation»: «L’argent injecté dans le football de clubs à l’échelle internationale n’est plus redistribué ailleurs. De nombreuses ligues nationales ont aujourd’hui de plus en plus de mal à assurer leur financement. Même la France ou la Belgique ont dû revoir leurs ambitions à la baisse».
Ce déséquilibre se manifeste également sur le plan symbolique. Alors que la FIFA impose son tournoi, elle se retrouve en concurrence directe avec d’autres compétitions officielles. La Gold Cup, qui regroupe les pays d’Amérique du Nord et centrale, se tient par exemple en même temps… et elle aussi sur le sol américain. Plus problématique encore: à partir du 2 juillet, la Coupe du monde des clubs chevauchera l’Euro féminin organisé en Suisse.
Le contraste est criant: l’UEFA distribuera 41 millions d’euros de primes à cette occasion. Soit quasiment ce que Manchester City ou le Real Madrid recevront de la FIFA... avant même d'avoir joué une seule seconde.