Demian Schaedler avait un avantage sur pas mal de ses concurrents, vendredi au départ des 100 km de Bienne: comme il participait à l'épreuve pour la première fois, le résident de Saint-Imier (BE) ne savait pas très bien à quel point c'est long, 100 km.
L'autre façon de voir les choses, c'est qu'il s'agissait d'une plongée dans l'inconnu pour ce coureur du Jura bernois plutôt habitué aux trails. Il le reconnaît d'ailleurs sans peine: «Faire 100 km à plat, ça me faisait peur.»
Demian (prononcez «Démiane», comme le personnage d'un livre d'Herman Hesse que sa mère a lu avant sa naissance) a finalement vaincu sa peur, les conditions épouvantables (orages et pluie incessante) et ses adversaires pour remporter la mythique épreuve en 7h17’55, ce qui valait bien un coup de fil.
Demian Schaedler, un ancien vainqueur de la course a dit un jour que le plus dur sur l'épreuve seelandaise, ce sont les 100 premiers kilomètres. Vous confirmez?
(Il se marre). Je dirais plutôt que ce sont les 50 derniers, car c'est à ce moment-là que la course commence. Tout devient difficile «mécaniquement», les foulées sont plus compliquées.
100 bornes, c'est Lausanne-Sion. C'est long même en voiture.
Oui c'est vrai, mais j'avais un autre point de repère: j'ai l'habitude d'aller à Kirchberg en voiture quand je vais chez Ikea, et c'est déjà long, alors quand j'y suis arrivé pendant la course, j'ai pu mesurer tout le chemin qu'il me restait à parcourir pour rentrer à Bienne!
Quand on court 100 km, peut-on courir 101 km?!
Sans doute, mais quand on est prêt pour en faire 100, on est content qu'il n'y en ait pas davantage! J'aurais peut-être pu courir un peu plus, mais ça aurait été très dur mentalement. Et puis, j'étais content d'arriver: 30 secondes après avoir franchi la ligne, quand j'ai voulu faire quelques pas, mon corps s'est «éteint». J'étais détruit.
Votre victoire est d'autant plus belle que vous n'étiez clairement pas favori.
C'est vrai, je n'aurais jamais pensé gagner. Cette victoire a été une surprise totale! Je me suis présenté au départ comme un «bleu». Je n'avais pas pris de coach pendant ma préparation, ni suivi de programme précis, alors que je me retrouvais face à des spécialistes du 100 km, des adversaires avec des allures répétées aux entraînements.
La décontraction avec laquelle vous avez abordé cette épreuve nous rappelle finalement que courir, ce n'est pas si compliqué: il suffit de mettre un pied devant l'autre!
Pour moi en tout cas, ça fonctionne très bien quand je ne me prends pas trop la tête en amont, que je ne fais pas trop de calculs. En plus, j'aime les bons plats et boire un verre de temps en temps. Je ne pourrais pas me priver de ce plaisir pour la course à pied. D'ailleurs, le week-end précédant les 100 km, j'étais au Jardin des Vins, à Sion.
En fait, c'est parce que la course se dispute de nuit, quand les bistrots sont fermés, que vous avez gagné!
(Il éclate de rire) Exactement!!! De façon générale, le fait de ne pas être trop sérieux avant une compétition me permet de garder une certaine insouciance et d'être plus performant, surtout que je me transforme dès le coup de pistolet au départ.
C'est à dire?
Je deviens quelqu'un d'autre. Je suis soudain très dur avec moi-même et ça peut aller loin, car j'ai une bonne résistance à la douleur. Chez le dentiste par exemple, je ne prends jamais d'anesthésie.
Même pas pour soigner une carie?
Non. Le dentiste me demande toujours 15 fois si ça va, mais en fait, ça va!
Votre ténacité vous a d'autant plus aidé cette année que la course a été marquée par des conditions dantesques. Beaucoup ont d'ailleurs abandonné.
Oui, Mathieu (qui m'accompagnait à vélo) et moi, on a eu des éclairs toute la nuit et c'était parfois dangereux, car la foudre n'est pas tombée loin. Il a plu sans cesse, on a parfois couru dans 15-20 cm d'eau. La gagnante chez les femmes (Claudia Bernasconi) m'a dit qu'elle n'avait jamais vécu ça sur cette course, que c'était l'édition la plus dure à laquelle elle avait participé.
Il paraît que courir longtemps s'apparente à un voyage intérieur, que l'on apprend beaucoup sur soi. Qu'avez-vous appris dans la nuit de vendredi à samedi?
C'est sûr que j'ai eu le temps de faire le tour de moi-même, de réfléchir à plein de choses. J'ai découvert que j'étais assez déterminé pour réussir une course pareille, et que j'avais un super mental. Ça me donne de la confiance pour la suite: je me dis qu'à 44 ans, je ne suis pas si vieux, que je peux encore réussir de belles choses sur une longue distance.
Dites-nous enfin, Demian Schaedler: ça gagne quoi un vainqueur de 100km?
J'ai remporté une médaille, un bouquet de fleurs, un bon d'achat à la Coop et un week-end dans un hôtel 5 étoiles.
Un établissement avec une salle de sport?
(Il rit). Il n'y aura pas besoin: ce sera un week-end détente avec spa!