Quand Jules Sturny débarque à l’aéroport de Brisbane avec une valise pleine, six crosses de hockey et un sac imposant, les douaniers australiens n’en croient pas leurs yeux. «Mais qu’est-ce que vous venez faire ici avec tout ça?», s’étonne l’un d’eux. L’attaquant de 28 ans ne vient pas en simple touriste. Il s’est engagé pour trois mois et demi avec le Lightning de Brisbane, l’un des dix clubs de la ligue australienne de hockey sur glace (AIHL).
Il est minuit passé à Brisbane quand Jules Sturny rentre de l’un de ses deux seuls entraînements hebdomadaires sur la glace. Malgré les huit heures de décalage horaire, il décroche son téléphone et raconte avec enthousiasme son aventure australienne et ce rêve qu’il nourrit depuis des années: jouer au hockey à l’étranger.
«J’ai toujours eu envie de tenter l’aventure à l’étranger», confie Sturny. «Après mon passage à Davos, il y a deux ans, j’ai demandé à mon agent d’examiner les options hors de Suisse. Je savais que l’aspect financier passerait au second plan, mais j’y voyais une chance unique de combiner hockey, voyage et découverte d’un autre pays.» Finalement, aucune opportunité ne s’est concrétisée, et le joueur a rejoint l'EHC Bâle.
C’était avant qu’un vieux souvenir ne refasse surface: quelqu’un lui avait parlé, il y a longtemps, du hockey sur glace australien. A l’été 2024, Jules Sturny envisage alors de profiter de la trêve estivale pour vivre cette expérience. Mais le projet capote. Les clubs de la ligue australienne privilégient les joueurs étrangers disposés à s’engager pour une saison complète, de début avril à fin août. Or en tant que professionnel, Sturny doit impérativement être de retour en Suisse début août, pour la reprise des entraînements sur la glace. Dans ces conditions, aucun accord n’avait pu être trouvé.
Mais cette année, le Lightning de Brisbane a enfin accepté les conditions posées par Jules Sturny. Le club a officialisé son arrivée en grandes pompes sur Instagram et sa venue a suscité un réel engouement chez les fans australiens, impatients de voir à l’œuvre le futur attaquant de l’EHC Olten. «J’ai été frappé par l’enthousiasme qui entoure le hockey ici», assure Sturny. «Les gens rayonnent d’une joie incroyable, surtout quand un joueur étranger rejoint l’équipe.»
Beaucoup de joueurs en Australie ont des racines canadiennes ou ont découvert le hockey par des chemins peu communs. Certains y terminent leur carrière, souvent autour de 40 ans, et se distinguent encore par leur qualité, comme Scott Timmins ou Ty Wishart, joueurs des Mustangs de Melbourne.
Ces deux Canadiens, âgés de 35 et 37 ans, ont été draftés en NHL et ont joué 24 et 26 matchs dans la ligue nord-américaine, pour des franchises comme les Panthers de la Floride, le Lightning de Tampa Bay ou les New York Islanders. «Les joueurs australiens parlent avec admiration de ces rencontres. Jouer contre eux est un immense privilège», raconte Sturny.
Après seulement deux matchs, l’admiration à son égard est également apparue. Sans surprise, Sturny a inscrit huit points, participant à tous les buts de Brisbane. Lors du succès 6-5 des siens contre Perth, il a d'abord scoré une fois et délivré cinq passes décisives, avant d'ajouter un but et un assist le lendemain contre le même adversaire.
Jules Sturny a fait forte impression, mais il relativise: «Il faut prendre ces chiffres avec prudence. L’AIHL n’est pas une ligue très professionnelle, elle est à peu près équivalente à la 2e ligue suisse (réd: notre cinquième division)». Le hockey s’y pratique deux fois par semaine seulement, souvent tard le soir, les créneaux étant partagés avec le patinage artistique ou le short-track.
L’infrastructure de la patinoire de Brisbane étonne également: à la place du plexiglas, un filet protège les spectateurs derrière la bande. Le banc des pénalités se trouve aussi juste à côté du banc de l'équipe, sur lequel les joueurs sanctionnés prennent place directement une fois la sanction écoulée, au lieu de retourner sur la glace. Enfin, le banc des joueurs est installé directement devant les premières rangées, ce qui permet aux spectateurs de féliciter les hockeyeurs. «C’est surprenant», sourit Sturny.
En Australie, le hockey reste un loisir. Les joueurs ont un emploi à plein temps du lundi au vendredi, puis consacrent leurs week-ends au hockey. Les déplacements, longs et coûteux, se font tous par avion, parfois sur plusieurs milliers de kilomètres. Pour optimiser ces voyages, les équipes enchaînent souvent deux matchs consécutifs contre le même adversaire avant de repartir directement.
Jules Sturny joue sans salaire, finance lui-même son billet d’avion depuis la Suisse, ainsi que son équipement. Le club prend en charge la nourriture, le logement, ainsi que les déplacements et les nuits à l’hôtel. Il partage une maison avec d’autres joueurs étrangers, chacun ayant sa chambre. Deux voitures sont mises à disposition par le Lightning de Brisbane. Le coach suédois Christer Lundqvist habite également dans la maison. «C’est un vrai esprit de colocation», dit Sturny.
Le Zurichois est le seul joueur de l’équipe à ne pas cumuler un emploi en parallèle du hockey. Bien que le club lui ait proposé un poste, il préfère profiter de cette aventure pour voyager, tout en gardant Olten en tête. Chaque matin, il s’entraîne donc dans une salle de fitness avant de profiter des douces températures automnales, alternant entre plage et découverte de Brisbane et ses alentours.
Grâce au club, il parvient aussi à concilier hockey et voyages: «Le club est très coopératif et tient compte de mes plans pour les réservations de vols. Lors des déplacements à Perth, je prolonge mon séjour quelques jours sur la côte ouest».
Jules Sturny est arrivé à Brisbane début avril, peu après la défaite de Bâle en finale des play-offs de Swiss League, contre Viège. Son but était d’être avec l’équipe dès le premier déplacement à Melbourne. Mais son début de saison a été retardé par des problèmes de licence, puis par la pause d’un mois liée au Championnat du monde Division 2A, disputé à Belgrade.
Là-bas, les Australiens ont vécu une compétition riche en enseignements, malgré plusieurs défaites face à la Serbie, la Belgique, les Pays-Bas ou encore les Emirats arabes unis. Ils ont toutefois signé une victoire encourageante contre Israël.
Pendant cette pause, Jules Sturny en a profité pour voyager avec ses coéquipiers à Cairns et Sydney, avant de faire forte impression lors de ses premiers matchs. Jusqu’à la mi-juillet, il vivra pleinement son rêve de hockeyeur à l’étranger, avant de rejoindre l’EHC Olten début août pour la reprise de l’entraînement. Il a déjà eu un échange avec l’entraîneur Christian Wohlwend: «Je me réjouis de la saison à venir. On a une super équipe».
Mais d’ici là, il lui reste encore quelques semaines d’aventure sous le soleil de Brisbane. «Je profite à fond de cette expérience», avoue-t-il. «C’est génial de pouvoir jouer régulièrement et d'enchaîner les matchs tout en découvrant le monde.»