«Réussir à maintenir la même allure sur toute l'épreuve, ça aurait déjà été quelque chose de beau. Alors courir plus vite la deuxième moitié de course, c'est magique.» Au bout du fil, Matthieu Deillon a la voix de ceux qui ont réussi un joli coup: pour sa troisième participation seulement à un marathon, cet amateur de 31 ans a réussi l'exploit de courir sa seconde moitié de course (21,1 km) plus vite que la première. Ses temps:
Matthieu a ainsi gratté 18 secondes sur la deuxième moitié de la distance reine, qu'il a bouclée en 2h27'30.
Dans le langage du running, on appelle cela un «negative split» et c'est plutôt rare. En marathon, les coureurs faiblissent d'ordinaire au fil des kilomètres, surtout dès le 30e, et c'est parfaitement normal tant les efforts sur une distance aussi longue (42,195 km) sont sévères. Les chiffres confirment cette tendance:
«Ce n'est pas facile à faire», concède Matthieu en toute modestie. Le Fribourgeois ne visait pas spécifiquement ce petit exploit, mais il explique que sa stratégie de course devait l'amener à terminer plus fort. «Je visais une allure de 3'28 au km, mais je me suis dit qu'il valait mieux partir en 3'30 pour assurer le coup.»
Lors des 20 premiers kilomètres, Matthieu a ainsi dû se faire violence pour ne pas accélérer. «J'ai dû me forcer à ralentir le rythme pour maintenir ma cadence de 3'30», dit-il. Il ne pouvait toutefois pas se fier à l'allure instantanée affichée sur sa montre. «C'est ce que je fais d'ordinaire, mais comme nous étions en centre-ville et qu'il y avait des milliers de coureurs autour de moi, ce n'était pas une donnée très précise. Je me suis donc fié au chrono par kilomètre, qui était tout à fait juste.»
Sa prudence a été payante. Car contrairement à son premier marathon en 2017 à Sydney (2h52) puis à celui de Francfort en 2022 (2h38), Matthieu ne s'est pas heurté au fameux mur du 30e km à Valence, et il n'a jamais peiné pour en terminer. «Maintenir le rythme puis pouvoir accélérer, c'est la classe», souffle-t-il, avant de donner un conseil à ceux qui souhaiteraient faire pareil:
Le problème, quand un athlète termine une course aussi bien et aussi fort, c'est qu'il se dit souvent qu'il aurait pu faire un meilleur temps, qu'il avait les jambes pour aller encore plus vite. Mais le marathon n'est pas une course comme les autres. «Partir au maximum de ses capacités, c'est l'assurance de se heurter au mur des 30 km», assure notre interlocuteur.
Certains champions, bien sûr, ont brillé sans réussir un «negative split». C'est le cas d'Eliud Kipchoge, qui avait établi son second record du monde (2h01’39’’) en «positive split».
A l'inverse, le recordman du monde (2h00'35'') et regretté Kelvin Kiptum avait fait du «negative split» sa grande spécialité. «Il n'y a pas de vérité: seul le chrono final compte», tranche Matthieu, dont le prochain marathon n'est pas pour tout de suite. «Je me concentrerai plutôt sur les cours de montagne l'an prochain, en particulier sur Sierre-Zinal.» Ceux qui y participeront feraient bien de guetter l'allure de ce coureur qui a appris à ne plus partir trop vite, faisant du temps et de la distance ses plus précieux alliés.